L'Héritage des Cathares
d’abord sur cet objet qui ne signifie rien.
À l’aveuglette, je m’exécutai.
— Et verse ton sang pour notre cause.
On me retourna la paume vers le haut et je sentis une lame en fendre la peau. Puis on me referma le poing et le sang s’écoula.
— Que désires-tu maintenant plus que tout ? demanda le Magister lorsque j’eus achevé mon serment.
— La Lumière et la Vérité, répondis-je après qu’Esclarmonde me l’eut chuchoté.
— Que la Lumière soit rendue à notre nouveau frère pour qu’elle éclaire la Vérité qui lui sera bientôt révélée ! ordonna le Magister.
Je sentis Esclarmonde détacher mon bandeau, puis me le retirer brusquement. Je me retrouvai aveuglé. Je plissai les yeux et les voilai de ma main. Le Magister retira la torche qu’il brandissait devant mon visage et la ficha dans un socle en bois qui était placé tout près. Je pus alors voir l’endroit où on m’avait emmené.
Il s’agissait d’une petite pièce carrée aux murs de pierre grossière et dénués de fenêtres. Elle avait manifestement été taillée, sous terre, à même le roc. Le seul éclairage provenait de quelques flambeaux fixés aux murs. Le plancher était couvert de tuiles noires et blanches disposées en damier. Sur le pourtour étaient disposées d’austères fauteuils à haut dossier où prenaient place cinq hommes et deux femmes. Avec le Magister qui se tenait devant moi et dame Esclarmonde qui se trouvait à mon côté, ils étaient dix en tout. Tous portaient le manteau blanc, mais certains n’étaient pas ornés de la croix pattée. Parmi eux se trouvait Bertrand de Montbard. Pour la première fois, je le voyais revêtu de l’habit qui avait jadis été le sien. Lorsque nos regards se rencontrèrent, il inclina subtilement la tête. Pour la première fois depuis les événements de Rossal, je crus lire dans son œil valide une lueur de fierté et d’émotion. Un fauteuil était inoccupé, dans un coin où ne brillait aucune lumière.
Celui qu’on appelait Magister était un vieil homme aux cheveux rares et à la barbe blanche. Il avait la peau du visage foncée et ravinée de celui qui a passé sa vie au soleil. J’en déduisis qu’il avait longtemps combattu en Terre sainte. Peut-être même en était-il natif. Ses yeux sombres étaient froids et intimidants. Les yeux de quelqu’un qui a tué, souvent et sans remords, et qui a vu des choses terribles. Il tenait en main un bâton surmonté d’une plaque ronde frappée de la croix pattée enclose dans un cercle. Derrière lui se trouvaient les seules décorations de ce lieu dépouillé. Un étendard rectangulaire séparé en deux parts égales, l’une blanche, l’autre noire, était fiché dans un socle près du fauteuil qu’il avait délaissé. Je reconnus aisément le baucent des Templiers. Au mur, de l’autre côté du fauteuil, étaient suspendus un écu blanc orné d’une croix pattée rouge et une longue épée templière à double tranchant.
Devant moi se trouvait un petit autel rectangulaire sur lequel j’avais prêté serment. Sur une nappe souillée de quelques gouttes de mon sang étaient posés un sceau en or et un crucifix portant encore les traces d’un crachat. Mon crachat. Un frisson superstitieux me parcourut le dos. On m’avait fait profaner la croix de Notre Sauveur. Venais-je d’amoindrir encore mes chances de salut ? Dieu me tiendrait-il rigueur d’avoir commis un tel sacrilège si je l’avais fait dans l’ignorance ?
Sur l’autel se trouvait aussi l’objet sur lequel j’avais posé la main pour prêter serment : la cassette de dame Esclarmonde, que j’avais moi-même arrachée des mains d’Evrart.
— Relève-toi, mon frère désormais juré parmi les Neuf, dit le Magister.
Lorsque je reportai mon attention sur lui, je constatai qu’il me tendait la main. Je la saisis et il m’aida à me relever. Puis il m’embrassa sur chaque joue.
— Que l’on retire sa corde à cet homme, ordonna-t-il, car il est maintenant et à jamais lié par sa conscience.
Je retins avec peine un rire cynique. Cet homme accordait une bien grande valeur à une conscience dont la sécheresse m’avait mené en enfer. Esclarmonde s’approcha et m’enleva la corde du cou. Puis elle banda ma main blessée avec un tissu blanc. Le Magister se plaça à ma droite et m’offrit son bras, que je saisis
— Voyez votre nouveau frère ! s’écria-t-il.
Il m’entraîna dans
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