L'Héritage des Cathares
Qu’est ceci ?
— Je. je l’ignore.
— Et cela est fort bien, car seuls les Neuf peuvent poser les yeux sur lui. Ce bâton est l’abacus du Magister, symbole du pouvoir temporel et spirituel de celui qui le tient. Tout ordre donné en sa présence doit être exécuté sous peine de mort.
Sire Ravier se dirigea vers l’autel, y prit le sceau en or que j’avais aperçu et revint vers moi. Il le retourna dans sa main pour me présenter l’image qu’il portait. J’y vis deux chevaliers montés sur le même cheval, lance en main droite et écu au bras gauche, qui allaient de dextre à senestre. Sur le pourtour, une inscription : Sigillum Militum Xpisti 1 .
— Ceci est le sceau des Templiers. On l’appelle la boulle. Les profanes y voient le symbole de la pauvreté de l’Ordre, illustrée par leur nécessité de chevaucher à deux vers le combat, et la modestie de ses débuts. On dit aussi qu’il est l’image double du templier, à la fois moine et chevalier. Mais il n’en est rien. Pour nous, il a le même sens que le baucent, soit celui de la dualité des choses. Les deux chevaliers sont la représentation de l’opposition entre la matière et l’esprit, le Mal et le Bien, les Ténèbres et la Lumière.
Il remit le sceau sur l’autel puis se retourna et me dévisagea. Il laissa échapper un soupir de lassitude. Il était vieux et, visiblement, ce discours le fatiguait. Ses traits me parurent plus tirés lorsqu’il passa près de moi pour prendre place dans son fauteuil. Il s’accouda sur le bras et tourna la tête dans ma direction. C’est assis qu’il poursuivit.
— Depuis les commencements de la chrétienté, notre tradition dit que les preuves de notre foi avaient été enfouies voilà longtemps sous les ruines du temple du roi Salomon, à Jérusalem. En l’an 1095, le pape Urbain II appela les souverains chrétiens à porter la croisade contre les infidèles pour libérer la Terre sainte. Les principales familles cathares confièrent à sire Hugues
la mission de se joindre aux croisés pour, une fois là-bas, voir si la légende avait quelque fondement. Sur place, il enquêta discrètement et fut encouragé à découvrir une histoire semblable chez les Sarrasins. De retour chez lui, sire Hugues fit rapport et il fut décidé qu’il y retournerait pour tenter de retrouver cette preuve. Cela fut fait en l’an 1118, lorsqu’il se présenta à Jérusalem avec ses huit compagnons pour obtenir du roi Baudouin II le privilège d’établir le nouvel Ordre sur les ruines du temple de Salomon. Pendant de longues années, afin de préserver le secret de leur mission, les neuf émissaires n’acceptèrent aucun nouveau candidat dans leur Ordre. Chaque nuit, ils fouillèrent et creusèrent les ruines jusqu’à s’écorcher les mains tout en menant à bien, de jour, leur fonction de protection des pèlerins. Alors qu’ils commençaient à désespérer, leurs efforts furent récompensés.
Il fit une pause qui se voulait dramatique, puis reprit en désignant la cassette sur l’autel.
— Ce qu’ils découvrirent est en partie contenu dans cette cassette : la Vérité que nous défendons contre ceux, nombreux, qui désirent la voir disparaître, jusqu’au jour où elle pourra être révélée au monde.
J’eus l’impression qu’autour de moi l’air s’était épaissi. Le silence était révérencieux. En regardant la cassette, je compris qu’en me faisant emmener dans cet endroit, dame Esclarmonde avait tenu sa promesse de m’en révéler le contenu. Depuis le début de cette aventure, j’avais fait erreur. La Vérité n’était pas la foi des hérétiques, mais bien une chose qui en prouvait la validité. Était-il possible que tout soit si simple ? Que Dieu se préoccupe de quelque babiole perdue dans une Création qui, selon les bons chrétiens, n’était même pas son œuvre ?
Une puissante fébrilité s’empara de moi. Je sentis mon cœur battre à se rompre dans ma poitrine et des sueurs froides me mouiller le dos et les aisselles. Dans ce modeste coffre de bois, transporté jadis par Montbard jusque dans ces pays, se trouvait peut-être la clé de mon salut.
— Une fois la Vérité retrouvée, continua le Magister, sire Hugues en fit porter l’annonce aux familles cathares. Il fut déterminé que l’endroit le plus sûr pour la conserver était la commanderie de Jérusalem. Pour assurer sa protection, de nouvelles recrues furent
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