L'Héritage des Cathares
volée, n’attaquant que sa gauche. Mes bras brûlaient sous l’effort, mais Montbard, lui, soufflait comme un taureau et ne parvenait plus à attaquer.
L’occasion attendue survint enfin. Reculant malgré lui, Montbard finit par se pencher un peu trop en arrière pour parer une attaque particulièrement vigoureuse. J’en profitai pour percer sa garde et enfoncer mon épaule dans son torse massif. Puis je passai ma jambe derrière la sienne, comme il me l’avait si souvent fait, remontai mon avant-bras sous son menton et poussai. L’impossible se produisit. Le maître d’armes tant redouté perdit l’équilibre et s’affala lourdement sur le dos. Il s’était à peine relevé sur ses coudes que la pointe de ma lame était posée contre sa gorge. Il me toisa, haletant. Il avait l’air absolument ravi. Un peu à l’écart, Odon applaudissait à tout rompre en poussant des petits cris joyeux.
— Bougre de puceau ! gronda-t-il. Il était grand temps que tu y songes ! Combien de fois t’ai-je répété que tu devais exploiter les faiblesses de ton adversaire ? Malgré le caillou qui te tient lieu de cervelle, tu as enfin compris !
Du bout des doigts, Montbard écarta ma lame de sa gorge et me tendit sa main gantée. Je la saisis et l’aidai à se relever. Il se dépoussiéra puis alla prendre une outre de peau suspendue à une des poutres de l’étable. Il la déboucha, la porta à sa bouche et avala de grandes gorgées du vin qu’elle contenait. Après s’être essuyé la bouche du revers de la main, il me la tendit.
— Bois ! Tu l’as bien mérité.
Trop heureux de cet honneur, je m’abreuvai à l’outre jusqu’à plus soif avant de la rendre à son propriétaire. Montbard la remit en place sur la poutre et revint vers moi.
— Misérable vermisseau, dit-il avec un sourire sincère. Depuis combien de temps planifiais-tu de prendre avantage du fait que je sois borgne ?
— Six mois au moins.
— Ha ! Il t’en a fallu du temps, pour te décider !
— C’est que. je devais être assez fort pour pouvoir le faire.
— Bien parlé ! Au bout du compte, quelques-unes de mes leçons ont fini par entrer dans ta maudite tête dure ! Exploiter les faiblesses de son adversaire et utiliser ses propres avantages. Voilà comment on survit. Tu es devenu fort comme un bœuf, mais tu sais très bien que je suis encore capable de te coucher sur mes genoux pour te donner la fessée si tel est mon désir. Par contre, tu es plus agile que moi et tu es rapide, alors que l’âge et l’usure commencent à ralentir ma vieille carcasse. C’est grâce à cela que tu as eu le dessus. Souviens-t’en le jour où tu devras combattre.
À compter de ce jour, Montbard en vint progressivement à me traiter comme son égal et ses insultes se firent affectueuses. Maintenant que ma maîtrise de l’épée le satisfaisait et que j’étais devenu un bretteur avec lequel il fallait compter, mon entraînement se diversifia. Il m’initia au maniement de la hache, de la masse d’armes et de l’arbalète, me révélant un univers de stratégies et de techniques dont je ne soupçonnais pas l’existence. Un mannequin de cuir épais, rempli de paille et revêtu d’une cotte de mailles, fit les frais de mes efforts et, à force d’encaisser des coups, finit en pièces. Mais la séance quotidienne ne fut pas coupée en deux parts égales. Sa durée fut simplement doublée. Et j’y trouvai deux fois plus de plaisir. Je réalisai aussi que, petit à petit, Bertrand de Montbard, cette brute bourrue et insensible, avait gagné mon respect et moi le sien. Il ne pouvait savoir que je le décevrais.
Un chevalier digne de ce nom ne doit pas seulement savoir manier ses instruments. Il doit pouvoir le faire à cheval, une bataille débutant rarement sur le plancher des vaches. Lorsqu’il fut satisfait de mes progrès, Montbard s’attaqua avec son énergie habituelle à cet aspect de ma formation.
Comme j’avais commencé tôt à accompagner mon père dans ses tournées de la seigneurie, je me croyais déjà compétent en la matière. Mais naturellement, mon maître voyait les choses autrement. Aussi, un matin, rompit-il notre routine en m’attendant à l’extérieur de l’étable, tenant les rênes des deux chevaux que possédait mon père. Il avait déjà sellé les bêtes et son écu était suspendu au pommeau de la sienne. Le mien était posé à terre. Il me tendit mon ceinturon et me
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