L'Héritage des Cathares
maître d’armes le couvrait d’attention et lui façonna même une petite épée en bois. Il lui apprit quelques rudiments de mouvements et ne se formalisa jamais de le voir tenter de nous imiter, les sourcils froncés par la concentration. Pour ma part, je fus contraint de tolérer ce marmot pour lequel j’éprouvais peu de sympathie. Il deviendrait plus tard le symbole le plus douloureux de ma déchéance.
J’avais passé le cap des seize années et j’étais résolu à mettre en œuvre une stratégie que j’avais patiemment élaborée au cours des mois précédents. Comme à tous les entraînements, Odon me tendit de peine et de misère mon épée, beaucoup trop lourde pour lui, puis fit de même pour Montbard, qui le remercia par une profonde révérence qui fit glousser l’enfant de plaisir.
Depuis toujours, j’ouvrais nos entraînements en portant le premier coup. Il s’agissait d’une tradition implicite à laquelle nous n’avions jamais dérogé jusque-là. Montbard sembla étonné de constater que, ce matin-là, je n’entendais pas respecter cet usage. Soupçonnant sans doute quelque arnaque, il retroussa les lèvres en un sourire amusé et, sans prévenir, abattit son arme vers ma hanche gauche. Faisant un pas de côté, je parai facilement le coup, fis un tour sur moi-même et répliquai en balayant vers ses tibias. Il sauta vers l’arrière et ma lame fendit l’air.
— Te voilà bien féroce ce matin, puceau, dit-il. Un poil de plus et tu me sciais les jambes ! Aurais-tu un surplus d’huile de reins qui te rend mauvais ?
Son regard devint sombre et je sus qu’il prenait la séance au sérieux. Qu’il y sentait un défi personnel. J’en conçus une grande peur et me demandai si je n’avais pas été trop hardi, mais il était trop tard pour reculer. À force de l’affronter, j’en étais arrivé à pouvoir anticiper la plupart de ses réactions, bien qu’il fît un effort constant pour varier ses attaques afin de me familiariser avec tous les styles de combat. Le diable d’homme semblait les maîtriser tous. J’étais donc prêt lorsqu’il se lança sans prévenir dans une charge furieuse. Sa lame passa dans le vide et allait s’abattre sur mon épaule, mais je levai mon épée pour bloquer le coup. Il avait espéré cette parade et en tira avantage. Utilisant son élan, il empoigna les deux extrémités de son arme dans ses mains gantées de cuir, l’appuya sur la mienne et poussa.
Sur les conseils de mon maître lui-même, j’avais appris qu’il était inutile de s’opposer à plus fort que soi et qu’il valait toujours mieux retourner la force de l’adversaire contre lui. Plutôt que de tenter de résister à son assaut, je le laissai donc me repousser de ses bras puissants. Lorsqu’il fut bien engagé dans son mouvement, je pivotai les épaules pour lui échapper. Emporté par son élan et déséquilibré, Montbard s’enfonça dans le vide. Après quelques pas, il s’arrêta et fit aussitôt demi-tour, prêt à se défendre. Je crus lire sur son visage de l’admiration. Et aussi une cruauté qui me fit peur.
Feignant à droite, je fis un tour complet sur moi-même et surpris Montbard d’un violent coup à la hauteur de la tête, sur sa gauche, qu’il bloqua in extremis, et nos armes restèrent pressées l’une contre l’autre. Je profitai de son étonnement momentané pour abattre mon poing sur son nez et sentis un craquement sec sous mes jointures. Le sang se mit à couler de ses narines et à mouiller sa moustache. Malgré lui, il grogna de satisfaction et de douleur.
— Alors tu veux jouer à ça ? grogna-t-il en souriant. Fort bien. Jouons.
Pressant mon avantage, je bandai mes muscles et fis remonter son épée avec la mienne. J’allais le frapper à nouveau lorsqu’il abattit son pommeau sur ma joue gauche, me fendant la chair. Je sentis le sang chaud couler, mais n’en eus cure. Le moment était venu de mettre ma stratégie en application.
Profitant du fait qu’il s’était compromis, j’enchaînai avec une série de coups furieux, tous portés sur sa gauche. Suant à grosses gouttes, j’eus le plaisir de le voir reculer sous mes attaques pour la première fois depuis qu’il avait entrepris ma formation. Le visage crispé par l’effort, presque débordé, il parait la pluie de coups que je faisais descendre vers lui. À plusieurs reprises, il tenta de se déplacer pour me faire face, mais chaque fois je l’en empêchai par une nouvelle
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