L'Héritage des Cathares
j’en avais été possédé, il me dévisagea longuement et, chose étonnante, me traita avec un embryon d’affection.
— Ce que tu ressens est une forme de luxure, m’expliqua-t-il. Les meilleurs combattants l’éprouvent souvent durant la bataille, lorsque l’odeur du sang les enivre et que l’épée semble aussi légère qu’une plume. C’est ce qui fait leur force et les distingue des autres. C’est ce qui leur permet de survivre. C’est aussi le plus grand danger qui les menace, car il peut leur faire perdre la tête et les rendre imprudents. Tu dois apprendre à tirer parti de ce sentiment sans jamais le laisser te dominer. Souviens-toi toujours que les armes ennoblissent celui qui les manie, mais avilissent celui qui se laisse mener par elles. Ce qui te rend fort peut aussi t’abaisser au rang de la bête. Tu comprends ?
J’acquiesçai de la tête en essayant de montrer de la conviction. Je réalise aujourd’hui que la maîtrise de l’art de la guerre fut ce qui installa la corruption dans mon âme.
Un des principaux aiguillons qui mortifieraient plus tard ma conscience se présenta un beau matin, alors que nous nous entraînions à l’extérieur, devant la grange. Nous nous étions étiré les muscles et nous nous étions échauffés en faisant siffler nos lames dans les airs, côte à côte et avec un parfait synchronisme, comme des frères d’armes. Je tirais une grande fierté de pouvoir suivre avec aisance ces mouvements qui m’avaient paru impossibles lors de notre première rencontre. Puis nous avions entrepris nos exercices. Comme toujours, nous tournions l’un autour de l’autre, nos épées tendues, nous guettant tels des fauves. Montbard savait fort bien qu’il pouvait me vaincre à volonté, mais il avait aussi conscience que j’étais devenu assez redoutable pour que nos affrontements requièrent son entière attention et que, dorénavant, la moindre distraction pouvait lui coûter cher.
Soudain, une petite voix haut perchée nous tira de notre concentration.
— Ha ! Ya ! faisait-elle.
Intrigué, je me retournai pour apercevoir à ma droite un petit bonhomme haut comme trois pommes qui nous imitait de son mieux, une branche à la main. Ce petit noiraud aux yeux brillant d’espièglerie, je le connaissais un peu. Il avait peut-être quatre ans. La rumeur voulait qu’il soit le fruit d’une des sœurs de Pernelle, engrossée par on ne savait trop qui. Personne ne s’était soucié d’un bâtard de plus dans Rossal et le petit traînait dans le village comme tous les autres enfants. Je m’arrêtai, contrarié d’être dérangé. Montbard figea son mouvement et ce qu’il fit m’étonna : son visage s’éclaira d’un sourire attendri dont je le croyais incapable. Il s’approcha du bambin et s’accroupit.
— Morbleu ! Mais qui avons-nous là ? roucoula-t-il en lui ébouriffant l’épaisse chevelure. Un chevalier en herbe ?
— Oui ! Odon chevalier ! répéta le petit en bombant fièrement le torse, le sourire fendu jusqu’aux oreilles.
— Ah ! mais avant d’être chevalier, tu dois être écuyer, s’esclaffa Montbard. Tu voudrais être le nôtre ?
Le visage crasseux d’Odon se renfrogna.
— C’est quoi, écuyer ?
— Il apporte l’armement des chevaliers, il l’entretient, et il fait tout ce qu’on lui demande pour aider. Ça t’intéresse ?
Le petit hocha la tête avec enthousiasme puis se fourra le pouce dans la bouche.
— Bon ! s’exclama Montbard, son visage prenant une expression exagérément grave. Alors il faut t’adouber. Agenouille-toi, sire Odon ! Et ôte ce pouce de ta bouche, je te prie.
Impressionné, le bambin se laissa tomber à genoux. Mon maître leva sa lame et la posa solennellement sur l’épaule gauche du petit, puis sur sa droite et enfin sur sa tête.
— Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, je t’adoube, sire Odon. Relève-toi, écuyer désormais juré.
Je confesse sans honte que je ressentis une vive jalousie en voyant Montbard s’attendrir ainsi devant un bambin pouilleux. Sans que je m’en sois rendu compte, l’approbation du vieux démon m’était devenue importante.
À compter de ce jour, le petit Odon nous accompagna quotidiennement dans nos entraînements, ce qui n’eut de cesse de me contrarier. Il nous attendait le matin lorsque nous arrivions dans la grange et se tenait au garde-à-vous avec drôlerie, ce qui faisait toujours rire Montbard. Le
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