L'Héritage des Cathares
fit signe de le boucler. Lorsque mon arme fut suspendue à mon côté, il m’ordonna de monter, ce que je fis. Puis il me tendit mon écu, que je passai à mon bras gauche en maîtrisant tant bien que mal ma monture de l’autre main. L’espace d’un instant, j’eus le sentiment grisant d’être un chevalier. Mais Montbard s’assura de crever la bulle dans laquelle je flânais. Il se mit en selle, tira son arme et la brandit.
— Le cavalier ne doit faire qu’un avec sa monture, dit-il. Sur le champ de bataille, sa survie en dépend. Tant et aussi longtemps que tu ne sauras pas te battre à cheval, tu ne vaudras pas mieux que le dernier des fantassins.
J’eus à peine le temps de dégainer qu’il m’attaqua avec une férocité mesurée. Je découvris alors, à mon grand désarroi, que le maniement de l’épée à cheval était une discipline tout à fait différente. Le poids de mon arme exigeait de mes cuisses un effort constant pour me maintenir en selle tout en parant et en contre-attaquant. Le cou de mon cheval, constamment dans le chemin de ma lame et de mon écu, me contraignait à me tenir très droit. Mon bras, pourtant entraîné jusqu’à la torture, fut bientôt tremblant de fatigue et des élancements traversèrent les muscles de mon dos.
— Sois alerte ! Tu n’as plus uniquement toi à protéger, freluquet. Si ton adversaire blesse ta monture, tu te retrouveras pris dessous, les jambes ou l’échine en morceaux !
De peine et de misère, je tentai de contrer le déluge de coups que Montbard portait vers mon torse et mes bras, puis vers le poitrail et les jambes de ma monture. Sans effort apparent, il alternait d’un côté et de l’autre, attaquant mon arme, puis mon écu. J’avais l’impression de ne pas avoir suffisamment de bras pour réagir à l’incessante volée de métal qui s’abattait sur moi. Tout au long, la voix de mon maître tonnait, aussi infatigable que son bras.
— Lâche les rênes, bougre d’âne ! On dirait un nourrisson accroché au tétin de sa mère ! Comment veux-tu te protéger avec ton écu si ta main est occupée à les tenir ? Rentre le cul et utilise tes cuisses pour serrer le poitrail de ta monture, mordieu !
La séance dura deux interminables heures au terme desquelles je me trouvai plus épuisé que jamais. Lorsque je mis les pieds à terre, mes jambes tremblaient et j’avais peine à me tenir debout. Un coup d’œil à la vieille carne que j’avais montée me confirma qu’elle n’était guère en meilleur état.
— Odon aussi ! Odon aussi ! s’exclama notre petit écuyer en sautillant sur place lorsque nous eûmes terminé.
— Patience, vermisseau, ricana Montbard en lui tapotant la tête. Tu es encore trop petit.
C’est ainsi que l’entraînement à cheval s’ajouta au reste, le maître d’armes ne me laissant souffler que lorsque je m’étais défendu d’une façon qui, sans jamais le satisfaire tout à fait, lui laissait quelque espoir, grognait-il, que je pourrais devenir un jour relativement compétent. Mes cuisses devinrent si dures que j’aurais sans doute pu écraser entre elles la tête d’un adversaire. Mais mon cheval, lui, se faisait vieux et n’aidait guère mes progrès.
Montbard eut sans doute pitié de moi - ou du cheval. Mon père s’absenta pendant deux semaines pour revenir, un jour, avec une bête magnifique. Je le vis venir de loin et me portai à sa rencontre. Je le saluai distraitement, fasciné par l’étalon qui le suivait, attaché à sa selle. Jeune et nerveux, il était noir comme un corbeau. Sa musculature suintait la puissance contenue. Il était presque aussi haut que moi. Cet animal ne devait pas être abaissé à travailler aux labours. Il était fait pour foncer.
— Vous avez acheté un nouveau cheval, constatai-je bêtement.
— Comme tu vois.
— Mais, nous en avons déjà deux.
— L’un d’eux se fait vieux. Et sire Bertrand affirme qu’un chevalier sans monture serait bien piteux, grommela Florent, visiblement contrarié. Il est pour toi.
Je fus étonné d’apprendre que mon père m’offrait cette bête splendide, lui qui m’avait toujours ignoré. Je portai sur le cheval un regard admiratif. Lorsque nos regards se croisèrent, il me sembla qu’il m’évaluait de ses beaux grands yeux bruns. Je sais, maintenant, qu’à ce moment précis l’animal me choisit et me promit son entière loyauté. Je m’approchai et,
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