L'Héritage des Cathares
s’étendait à perte de vue. Je ne pouvais apercevoir qu’un sol parsemé, ici et là, de pics rocheux enduits de glace. Il n’y avait ni arbres ni végétation. Tout était recouvert de givre et semblait figé. Mort. Un silence sourd et oppressant régnait. Les seuls bruits étaient le froissement de mes vêtements et ma respiration. Je portai les yeux vers le ciel, espérant m’orienter. Rien. Il ne s’y trouvait qu’une masse opaque, sans lune ni soleil ou étoiles. Aucune source de lumière n’était visible et pourtant, par une quelconque sorcellerie, j’y voyais clair. Perplexe, je regardai mes mains et constatai qu’elles avaient une teinte bleutée, comme tout ce qui m’entourait. Ma peau avait la couleur d’un cadavre gelé.
Quel était cet endroit ? Comment y étais-je arrivé ? Qui m’y avait déposé ? Et pourquoi m’y avait-on abandonné ? M’avait-on joué un mauvais tour pour m’humilier ? Je me mis debout, hésitant et désorienté. Le sol givré craqua sous mes pieds. Je fis quelques pas pour m’arrêter aussitôt, réalisant la futilité de me déplacer dans une direction plutôt qu’une autre sans d’abord déterminer où je devais aller. Un frisson me parcourut et je m’enveloppai de mon mieux dans mes bras. Ne sachant que faire d’autre, j’appelai.
— Holà ! Il y a quelqu’un ?
Je fus surpris par le trémolo dans ma voix, qui se répercuta longtemps et finit par se perdre au loin dans ce désert de glace. Angoissé, je réalisai que ma gorge était douloureuse. J’y portai à nouveau la main, la tâtai plus attentivement et, malgré l’engourdissement de mes doigts, je crus y sentir une ligne épaisse.
— Holà ! répétai-je d’un ton plus ferme. Je suis Gondemar, seigneur de Rossal ! Montrez-vous !
Une fois encore, seul l’écho me répondit, lugubre et sépulcral. Je portai instinctivement la main à ma taille pour y saisir mon épée, mais elle ne s’y trouvait pas. On avait pris soin de me désarmer. Je pivotai sur moi-même et me haussai sur le bout des orteils, espérant apercevoir à l’horizon quelque chose qui m’indiquât dans quelle direction m’engager, mais ne trouvai rien. Il n’y avait qu’un vide qui semblait se communiquer à mon âme. Le silence. Et le froid, terrible et sans pitié. J’eus beau scruter le sol à la recherche de quelque chose qui me permettrait d’allumer un feu, je n’aperçus pas la moindre brindille. Je n’y vis pas non plus d’empreintes indiquant que quelqu’un était passé récemment.
Ne sachant que faire d’autre, je me rassis et ramenai mes genoux sous mon menton, enveloppant mes jambes de mes bras comme un petit garçon apeuré pour conserver le peu de chaleur que je possédais encore. Je secouai la tête, dépité. À ce rythme, le froid glacial m’emporterait et il eût mieux valu que je ne fusse pas conscient.
J’ignore combien de temps je restai ainsi recroquevillé, grelottant, essayant de contrôler le claquement de mes dents. Dans cet endroit, le temps semblait figé en une seconde qui s’étirait à l’infini. L’étrange absence d’astres m’interdisait toute mesure des heures. M’étais-je éveillé voilà quelques minutes, quelques heures ou quelques jours ? Je ne pouvais le dire. Un désespoir profond et amer me remplissait de plus en plus. Je sentais ma détermination et mon assurance suinter par les pores de ma peau et me quitter, laissant place à une étrange torpeur, un abattement profond et insidieux que je n’avais jamais ressenti avant. J’aurais dû avoir faim et soif. J’aurais dû ressentir de la fatigue. De la douleur. Quelque chose. Mais je n’éprouvais que le froid et une désespérance toujours plus grande qui m’enserrait l’âme comme un étau.
Malgré moi, les images de ma vie se mirent à défiler dans ma tête. Je revoyais ce que j’avais été et ce que j’étais devenu. Mes moindres gestes m’étaient présentés avec une clarté et une intensité aveuglantes. L’enfant innocent que j’avais été. L’amitié pure que j’avais partagée avec Pernelle. La révolte qu’avait engendrée sa perte et le durcissement graduel de mon cœur. Ma vengeance sur les garçons qui m’avaient humilié et la satisfaction que j’avais éprouvée à tuer. La griserie du combat par laquelle j’aimais tant me laisser habiter. Le sentiment de puissance que j’avais chéri à mesure que Rossal était devenue mienne, asservissant les serfs à ma seule
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