L'Héritage des Cathares
ne pas me mettre à geindre comme un enfant. En me faisant violence, je soutins son regard.
— Tes larmes viennent trop tard, déclara le nouveau venu. Ceux qui se retrouvent ici finissent tous par regretter les gestes qui les y ont menés. Mais leur repentance est vaine. Leurs péchés ont déjà été comptés. Leur jugement est tombé et leur sentence prononcée.
Perplexe, je ne comprenais pas où il voulait en venir. Ou peut-être refusais-je de comprendre. Je me levai, soudain en colère, mes larmes séchées. Les questions se bousculaient en moi.
— Où suis-je ? demandai-je d’une voix tremblante. Que fais-je ici ? Qui es-tu ? Comment connais-tu mon nom ?
L’homme leva une main autoritaire et haussa un sourcil dédaigneux.
— Quel grand seigneur tu fais. Mais ne te trompe pas. Ici, tu n’es plus rien. Tu n’as ni ordres à donner ni hommages à recevoir. Tu es seul avec ta conscience et ton désespoir.
— Où suis-je ? insistai-je.
— Ne l’as-tu pas encore compris ? Es-tu si plein de toi-même que tu ne peux concevoir que plus grand que toi dispose à sa guise de ta misérable personne ?
Saisi par un regain de vigueur et de fierté, je serrai les dents et fis quelques pas dans sa direction.
— Mordieu ! Tu es pire qu’un prêtre ! Cesse de radoter des paraboles et réponds à ma question !
— Tu peux bien blasphémer autant que tu le désires, rétorqua l’autre, avec une moue dédaigneuse. Cela n’a plus d’importance.
N’y tenant plus, je fis mine d’empoigner sa robe pour lui faire un mauvais parti. Mes doigts n’eurent pas le temps d’entrer en contact avec le tissu. La crosse traversa l’air pour me frapper en pleine poitrine et un choc terrible me traversa tout le corps. Je me retrouvai sur le dos, sonné. L’homme me toisa et secoua la tête, le dédain peint sur son visage. Ses yeux semblaient en flammes et deux gigantesques ombres allongées se formèrent derrière son dos, rappelant des ailes déployées. Puis elles se résorbèrent.
— Ne t’avise plus jamais de porter la main sur moi, gronda-t-il, la voix tremblante de colère. Même si tu es puni pour l’éternité, sache qu’il n’y a aucune limite aux souffrances que tu pourrais endurer.
La tête me tournant, je m’assis et le dévisageai. Cet homme m’avait projeté à quelques toises de lui sans le moindre effort, moi qui avais été formé au combat, et il parlait de punition et d’éternité.
— Quel est cet endroit ? redemandai-je, craignant la réponse qui menaçait de prendre forme dans mon esprit.
L’individu fit un petit sourire triste.
— Le lieu d’origine des anges déchus, où la matière a été créée au commencement des temps et où les âmes ont été enfermées dans leur prison de chair, dit-il d’une voix éteinte. L’endroit où le Dieu de Lumière ne brille pas. Pour un simple mortel, le terme le plus proche serait sans doute l’enfer.
Mon sang se glaça dans mes veines. L’enfer. Le lieu de glace, de froid et des regrets éternels, que les damnés étaient condamnés à habiter jusqu’au jugement dernier. Le père Prelou m’en avait si souvent parlé, me rappelant qu’il guettait tous les mortels. Le lieu où croupissaient les âmes damnées. Même si, au fond de moi, je savais que ce qu’il disait était vrai, je me refusais à le croire. Je restai là, bouche bée, l’angoisse me serrant la gorge.
— L’enfer ? parvins-je à répéter, assommé.
Je ne pourrai jamais décrire avec justesse le désespoir qui me terrassa alors. J’étais bel et bien mort, décapité par les brigands. Ma tête avait roulé dans l’herbe et mon sang avait gorgé le sol. Le corps que je possédais maintenant n’était qu’une illusion. Une forme pour mon âme.
Les paroles du père Prelou me revinrent en tête. Un bon chrétien doit préparer sa mort sa vie durant, me répétait-il sans relâche, l’index en l’air. Car il ne sait jamais quand Dieu le rappellera à lui pour le juger. Chaque geste a ses conséquences, qui sont inscrites dans le grand livre de Dieu, Gondemar. Une erreur, une colère suffit à damner une âme et à la condamner au froid et au désespoir éternels de l’enfer. Une bonne vie et une bonne mort, mon petit. Voilà le secret du paradis. Chaque geste a des conséquences. Un froid intense m’enserra le cœur et ma respiration devint rauque et difficile. Étais-je damné ? Condamné à
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