L'Héritage des Cathares
menton quelque chose à l’horizon.
Je suivis la direction de son regard et, au-dessus de la cime des arbres, j’aperçus des colonnes de fumée à quelques lieues de distance. Je ne connaissais que trop bien ce que cela signifiait.
— La seule différence, c’est qu’ils agissent avec l’absolution du Saint Père, ajouta Evrart en secouant lentement la tête avec dépit.
— Ne devrions-nous pas aller voir si nous pouvons porter secours à quelqu’un ? demanda Montbard.
— Pour quoi faire ? Nous n’avons ni chirurgien, ni prêtre. Le pillage est malheureusement le tribut qu’exige toute guerre. Ce village s’en remettra si telle est la volonté de Dieu.
Après huit jours de route, Evrart annonça que nous serions à Béziers sous peu. Alors que je me sentais toujours aussi sombre, Montbard devint plus volubile à mesure que nous progressions vers le Sud. Je le surprenais parfois à admirer, l’air attendri, le paysage qui changeait sur notre route. Je me décidai à lui adresser la parole, anticipant un rejet brusque et sans appel.
— Vous me semblez bien heureux, maître, remarquai-je, alors que nous nous étions arrêtés pour remplir les outres et abreuver les chevaux à un ruisselet qui coulait près du chemin.
Il me toisa longuement de son œil perçant, semblant se demander s’il allait me répondre ou maintenir son silence.
— Cela paraît tant ? demanda-t-il enfin, à mon grand soulagement.
Je me contentai d’acquiescer en hochant la tête.
— Je suis en route vers chez moi, murmura-t-il pour que personne d’autre ne l’entende. Après avoir mené à bien la mission confiée par l’Ordre, jamais je n’aurais cru y revenir un jour. Et voilà qu’à cause de toi, j’y retourne. Les voies de Dieu sont impénétrables.
Je songeai qu’au contraire celles-ci étaient on ne peut plus claires. Le Créateur exigeait de ses créatures qu’elles respectent sa volonté au risque de perdre leurs âmes. Il n’existait aucun compromis possible. Il n’y avait que le salut ou la damnation.
— Ventredieu, si j’ai l’air d’une sainte en extase, maugréa Montbard, je m’assurerai de faire plus attention.
Puis il me tourna le dos. Visiblement, la conversation avait assez duré. Quelques instants après, Evrart ordonna le départ. À contrecœur, je me remis en selle, heureux d’avoir retrouvé, ne fût-ce qu’un court instant, un peu de mon ancienne intimité avec mon maître.
Régulièrement, nous traversâmes des villages dont quelques bâtiments fumaient encore et dont les habitants se terraient à notre vue. À quelques reprises, Evrart s’arrêta et parvint à convaincre quelques-uns d’entre eux de s’approcher pour les interroger. Tous lui offrirent la même réponse : des troupes venues du Nord leur avaient tout pris. Nous apprîmes qu’il s’agissait de chevaliers, de fantassins et de mercenaires, mais surtout de ribauds et de brigands plus intéressés par le pillage et le viol que par la croisade, qui s’étaient greffés aux troupes du pape en quête de butins facilement gagnés. Leurs chefs portaient la croix rouge et tous se dirigeaient vers Béziers.
Nous étions à une journée de Béziers lorsque les circonstances nous contraignirent à un arrêt imprévu qui contraria fort le seigneur de Nanteroi. Plusieurs chevaux avaient endommagé leurs sabots sur la route pierreuse et devaient être ferrés. Nous nous arrêtâmes donc dans le premier village que nous croisâmes. Nous trouvâmes l’endroit intact, mais désert. Nous savions fort bien que les habitants, apeurés par les rumeurs de pillages tout autour, s’étaient terrés quelque part dès qu’ils avaient appris notre approche et qu’ils priaient de toutes leurs forces pour que nous repartions sans trop les démunir.
Evrart arrêta sa monture au centre de la place du village et mit ses mains en porte-voix.
— Ne craignez rien, villageois ! cria-t-il. Je suis Evrart, seigneur de Nanteroi ! Mes hommes et moi venons du Nord et sommes en route vers Béziers pour nous joindre à la croisade. Dieu m’en est témoin, nous ne sommes pas des détrousseurs. Nous avons grand besoin d’un forgeron et nous aimerions nous restaurer ! Nous paierons en espèces sonnantes et trébuchantes pour tout service ou marchandise !
Nous attendîmes pendant de longues minutes sans voir le moindre mouvement.
— On dirait bien qu’il n’y a personne, remarqua
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