L'Héritage des Cathares
elle doit avoir la fendace bien large. Nous devrions peut-être en trouver une plus jeune.
— Essayons-la. Nous verrons bien ce qu’elle vaut.
— À bien y songer, essayons-les toutes !
— Comme si ton petit guilleri pouvait supporter tout ce jointage !
— Bah ! Tu verras bien !
Evrart se pencha vers Montbard et moi, un sourire carnassier aux lèvres.
— Ils sont à peine une dizaine, chuchota-t-il. Tudieu, je vais leur faire regretter le jour de leur naissance.
Il s’avança sur la place et nous lui emboîtâmes le pas.
— Holà ! s’écria-t-il. Pourquoi ne vous mesurez-vous pas à quelqu’un de votre taille au lieu de tourmenter cette pauvresse ? Si vous tenez tant à forniquer, j’aurai grand plaisir à vous fourrer mon épée dans les fondements !
Surpris, les deux hommes s’interrompirent. La femme s’affala sur le sol pour se relever aussitôt et s’enfuir en couinant piteusement sans même chercher à masquer sa nudité partielle. Pris de court, les ribauds se regardèrent l’un l’autre, indécis. Visiblement, ils n’avaient pas de chef. Avant qu’ils puissent détaler, Evrart fit signe à Androuet et, en moins de temps qu’il ne faut pour le dire, les bandits se retrouvèrent encerclés. Réalisant que toute retraite était impossible, ils laissèrent tomber leurs armes de fortune.
— Oh ! Monseigneur, dit l’un d’eux en levant les mains en signe d’apaisement. Nous ne faisions que nous amuser un peu. Si nous avions su que le village était sous votre protection, nous aurions passé notre chemin.
Le seigneur de Nanteroi n’était pas homme à se laisser émouvoir par la reddition aussi factice que lâche de ce genre de créature. Il s’approcha lentement de l’homme, qui eut un mouvement de recul craintif et se heurta à un de ses compagnons.
— J’entends fort bien ce que tu faisais, canaille, répliqua Evrart d’un ton aussi froid que le métal de son arme.
Sans prévenir, il abattit son épée sur la tête de l’homme. La lame lui fendit le crâne comme s’il s’était agi de lard encore chaud et s’y enfonça jusqu’à la hauteur des yeux. Elle en sortit d’elle-même lorsqu’il s’écroula.
Ce geste fut le signal d’une boucherie aussi complète que brève. Avec une efficacité presque mécanique, les hommes de Nanteroi fondirent sur les brigands désarmés et les hachèrent menu. J’eus à peine le temps d’éventrer l’un de ces malfrats que tous les intrus gisaient l’un par-dessus l’autre sur le sol, éventrés ou amputés. Montbard, qui s’était lancé dans la bataille avec son enthousiasme et sa compétence habituels, trouvait sans doute là un exutoire à l’amertume que je lui causais. Ébahis, les villageois observaient la scène. Habitués à être laissés à eux-mêmes, ils semblaient avoir du mal à croire qu’on les ait défendus de cette façon. Le prêtre s’approcha d’Evrart, visiblement ébranlé, suivi de ses ouailles.
— Comment. comment vous remercier, messire ? dit-il, hésitant.
— Bah ! Point n’est besoin. Je n’aime guère voir des innocents tourmentés. Si vous étiez cathares, évidemment, les choses seraient différentes.
Je surpris les regards entendus que quelques villageois s’échan-geaient à la dérobée. Evrart toisa les cadavres d’un regard tout à fait détaché.
— Fais-les enterrer, conseilla-t-il au prêtre. Il serait dommage que ces vauriens vous apportent la pestilence pendant qu’ils pourrissent.
Il fit signe à ses hommes et se dirigea avec eux vers l’étable. Il restait encore quelques heures avant le jour et il avait la ferme intention d’en profiter pour dormir un peu.
À l’aube, nous nous préparions à quitter le village pour reprendre la route de Béziers. Montbard, qui connaissait le chemin, affirmait que nous y serions avant la tombée de la nuit. Je sellais Sauvage, qui piaffait d’envie de se remettre en marche, lorsqu’un homme âgé, maigre, chauve et ridé, s’approcha de mon maître d’armes en claudiquant. Le dos voûté, il se planta à quelques pas de Montbard et attendit d’être remarqué en se tordant nerveusement les mains. Intrigué par son attitude, j’observai discrètement la scène.
Après un moment, le maître d’armes sembla sentir sa présence. Contrarié, il redressa la tête, abandonna ses préparatifs et se retourna. L’espace d’un moment, je pus lire l’étonnement sur
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