L'Héritage des Cathares
son visage avant qu’il ne se reprenne.
— Sire Bertrand, caqueta le vieux. Vous me reconnaissez ?
— Je vois que la mort n’a pas voulu de toi, Narcis, rétorqua mon maître.
— Eh non ! Elle semble m’avoir oublié.
— Que me veux-tu ? demanda Montbard avec une sécheresse qui me surprit.
— Vous dire qu’il est bon qu’un Montbard soit de retour en ces contrées, sire. Et demander votre bénédiction.
Avec un effort manifeste, le vieillard s’agenouilla. Embarrassé, Montbard regarda autour de lui comme s’il voulait s’assurer que personne ne le voyait, puis leva la main droite, l’index et le majeur tendus, et traça hâtivement dans les airs le signe de la croix.
— In nomine Patris et Filii et Spiritus Sancti\ grommela-t-il, à la sauvette, l’air embarrassé.
Avant que mon maître ne puisse retirer sa dextre, l’homme la saisit et, toujours à genoux, la baisa avec ferveur.
— Merci, sire Bertrand. Que Dieu vous garde, dit-il d’une voix tremblante d’émotion.
— Relève-toi et passe ton chemin, maintenant. Et par Dieu, tiens ta langue !
Le vieillard écarquilla les yeux et acquiesça en silence. Puis il s’éloigna comme un chien battu, une expression blessée sur le visage. J’adressai à Montbard un regard interrogateur qu’il ne releva pas, se contentant de s’enfermer dans un mutisme obstiné pendant qu’il achevait de seller son cheval. Puis il se rendit auprès du seigneur de Nanteroi pour lui expliquer le chemin à suivre.
Lorsque nous eûmes pris la route, trottant lentement vers notre destination, je profitai de l’absence momentanée d’Evrart pour entraîner Montbard un peu à l’écart du reste des troupes. Je n’en pouvais plus de son silence et j’étais bien déterminé à y mettre fin.
— Maître, dis-je avec une contrition sincère, je sais que j’ai commis des gestes impardonnables. Croyez-moi, pour le reste de ma vie, je ne pourrai jamais l’oublier et, en ce moment même, j’en paie chèrement le prix. Si cela m’est possible, je m’amenderai, je vous en fais le serment. Déjà, je me rends participer à la croisade pour obtenir rémission de mes péchés. Mais d’ici là, je vous en conjure, cessez de m’ignorer.
Il me toisa longuement d’un regard sombre. Dans mon anxiété, j’eus l’impression qu’une éternité s’écoula avant qu’il ne me réponde enfin.
— Gondemar... soupira-t-il avec une lassitude qui faisait pitié à entendre. Tu étais encore tout jeunot lorsque je t’ai pris en charge. Je crois que personne ne te connaît mieux que moi. Je t’ai vu grandir et pencher lentement du côté du Mal. J’aurais
1. Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit.
dû intervenir plus fermement, mais j’étais aveuglé par mon affection pour toi. Par la fierté de te voir si bien progresser, aussi. Je ne pouvais accepter qu’une si belle réussite soit en fait un échec. Je me suis convaincu que tu reprendrais le droit chemin. Cela, ma conscience en portera à jamais le poids. Pourtant, aussi invraisemblable que cela puisse être, je crois encore qu’il y a du bon en toi. Alors soit. Parlons. Mais ne va jamais croire que j’ai oublié. Mon œil sera aussi omniprésent que celui de Dieu et je te réformerai, dussé-je te tuer pour y arriver.
— Merci, murmurai-je avec une profonde humilité, les yeux au sol.
Nous demeurâmes un moment muets et embarrassés. Je repris la parole en revenant sur l’étrange événement survenu à l’aube.
— Je t’ai dit que j’étais natif de ce pays, expliqua-t-il lorsque je le questionnai. Ma famille y est fort connue. Je ne vois pas ce qu’il y a de si étonnant.
— Il vous a demandé de le bénir. Ce n’est quand même pas banal.
Montbard gronda avec impatience.
— Tu as toujours été trop curieux. Tu aurais avantage à te préoccuper autant du salut de ton âme que des secrets d’autrui.
Je connaissais suffisamment mon maître et son extrême réserve pour savoir que ses ronchonnements trahissaient sa résignation et annonçaient une réponse qu’il répugnait à donner. J’accusai le coup sans broncher malgré la peine qu’il me causait, sachant qu’il y en aurait encore bien d’autres. Il soupira de nouveau, nettement contrarié.
— Tu sais déjà que je suis originaire du Languedoc, commença-t-il. Ma famille y a longtemps possédé de vastes terres. Mes ancêtres
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