L'Héritage des Cathares
Dans ces contrées, les familles nobles ont presque toutes des membres parmi les cathares. Je crains fort que plusieurs ne prennent position du mauvais côté de la bataille. Si on me reconnaissait, on risquerait de m’associer aux hérétiques et je n’ai guère envie d’être passé au bûcher. Mieux vaut que l’on me croie du Nord.
— C’est pour cette raison que vous avez chassé si brusquement le vieil homme ? Vous ne vouliez pas qu’on vous remarque.
Le maître d’armes hocha la tête.
— Jadis, Narcis ne cachait pas sa sympathie pour les cathares. J’ignore si tel est toujours le cas, mais je préférais ne pas avoir l’air d’être son ami.
— Pourquoi vous a-t-il demandé de le bénir ?
— Parce que je suis un Montbard.
— Les Montbard sont-ils hérétiques ?
— Moi, non. Mais peut-être que Narcis le croit. On raconte que la foi d’André et des autres fondateurs de l’ordre des Templiers n’était pas très orthodoxe.
— Et Evrart ? Il sait que vous êtes originaire de ces terres. Ne craignez-vous pas qu’il se méfie de vous ? Qu’il vous associe aux hérétiques ?
— Je lui ai dit que j’y étais déjà venu. Pas que j’y étais né. Si tu tiens ta langue, il ne saura rien de plus.
Je restai longtemps silencieux. Les idées se bousculaient dans ma tête.
— Maître ?
— Quoi ?
— Qu’est-ce qu’un cathare, exactement ? Le père Prelou m’en a dit un mot jadis, mais je crains qu’il ne l’ait jamais vraiment su lui-même. Que leur reproche-t-on, au juste, qui mérite que le pape mobilise la chrétienté contre eux ?
— Je suis soldat, pas théologien, grommela Montbard. Je sais qu’ils renient la croix de Notre-Seigneur et rejettent les sacrements de l’Église. Avant que je ne quitte l’Ordre, la rumeur courait qu’ils avaient des liens avec les templiers, mais je n’ai jamais su lesquels et je n’ai pas posé de questions, car cela ne me concernait pas. Pour le reste, qu’il te suffise de savoir que Sa Sainteté le pape Innocent III a décrété que leur foi était une erreur et qu’ils devaient être convertis de force ou exterminés. Nous n’avons pas à discuter son jugement, mais à y obéir.
J’allais insister lorsque Androuet s’approcha au trot.
— Sire Bertrand, vous traînez, dit-il en riant. Le sieur Evrart vous mande à l’avant de la troupe. Je crois que nous allons bientôt arriver et il désire que vous indiquiez le chemin à suivre.
— Bien, allons-y.
Montbard éperonna son cheval et se dirigea vers la tête du convoi, me laissant seul avec mes pensées. Sur ses directives, nous prîmes à droite à une fourche et je sentis la nervosité monter parmi les hommes de Nanteroi. Mais elle n’était rien, comparée à la mienne. Si eux allaient risquer leur vie au nom de la foi, j’allais mettre en jeu mon salut éternel.
Nous étions le 20 juillet 1209. Bientôt, ma vie basculerait une fois de plus.
Chapitre 11 Béziers
Dans la plaine, le soleil allait se coucher. Bien avant d’apercevoir les troupes françaises, nous les sentîmes. Une puanteur insistante annonçait indiscutablement leur présence une demi-lieue d’avance. Puis les chants d’un chœur de moines nous parvinrent à l’oreille, mélancoliques et lancinants. Mais rien n’aurait pu me préparer à la vision qui s’offrit à moi. J’avais passé ma vie isolé dans une petite seigneurie sans importance. Jamais je n’avais vu une ville fortifiée hormis le petit bourg où se tenait la foire régionale. Au milieu de l’immense plaine, Béziers s’élevait au loin, entourée d’une haute muraille à laquelle donnait accès un pont qui franchissait l’Orb. La ville gravissait une colline au sommet de laquelle je devinais la silhouette d’une cathédrale. Derrière les murs, des maisons aux toits de tuile rouge s’entassaient. Entre la cité et nous s’étendaient, à perte de vue, les troupes croisées qui en faisaient le siège.
Au sud de la ville, une véritable marée humaine noircissait la moindre parcelle de terre. Aussi loin que mon regard pouvait porter, il y avait des croisés qui formaient un tapis grouillant pareil à une immense fourmilière. La plaine était parsemée de centaines de bannières et de pavillons multicolores identifiant autant de seigneurs français venus du Nord pour mater les hérétiques au nom de Dieu et du pape, et assurer par la
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