L'Héritage des Cathares
avaient quelques châteaux et plusieurs seigneuries. C’est pour devenir templier que j’ai quitté ces contrées. C’était une tradition familiale, en quelque sorte. Avant moi, il y avait eu André de Montbard. Je crois me souvenir que tu as lu jadis ce que tu pouvais trouver sur l’Ordre pour m’arracher une confession. Son nom te dit quelque chose ?
Je fouillai dans les souvenirs que je gardais du récit de Guillaume de Tyr, mais ne trouvai rien. Je haussai les épaules en relevant le sourcil pour marquer mon ignorance et il poursuivit, le regard perdu dans le vague.
— Les Pauvres Chevaliers du Christ et du Temple de Salomon furent créés en l’an 1118 pour défendre les pèlerins en Terre sainte. Les fondateurs de l’Ordre étaient des chevaliers qui gravitaient autour du comte Hugues de Champagne : Hugues de Payns, le vassal du comte, qui en fut aussi le premier Magister ; Geoffroi de Saint-Omer ; Payen de Montdidier, de la maison de Flandres ; Archambaud de Saint-Agnan ; Geoffroy de Bisor ; un certain Godefroi et deux moines : André de Gondemare et Jacques de Raffle. Le neuvième était André de Montbard. Techniquement, aucun des fondateurs n’habitait le royaume de France.
— Votre ancêtre était un des fondateurs de l’ordre des Templiers ? demandai-je, médusé. Palsambleu. Vous êtes bien cachottier.
— Pas mon ancêtre direct, mais un parent éloigné. André n’a pas eu d’enfants avant de se joindre à l’Ordre. Il était l’oncle de Bernard de Fontaine, abbé de Clairvaux, une abbaye cistercienne qu’il avait fondée sur des terres données par le comte Hugues et qui rédigea la règle des chevaliers du Temple en l’an 1128. André fut d’abord sénéchal de l’Ordre, puis il en devint le cinquième Magister en 1154. Il a démissionné après deux ans pour se faire moine à Clairvaux. Evidemment, comme tous les templiers doivent le faire, il avait cédé ses terres personnelles à l’Ordre. C’est en accumulant ainsi les propriétés que les templiers sont devenus si riches. Mais pour les familles, une telle générosité a des conséquences peu enviables. Privée de l’essentiel du domaine familial, la mienne s’est retrouvée fort dépourvue. Ce qui subsistait suffisait à peine à la faire vivre et, après quelques générations, il ne restait presque plus rien des Montbard. Les femmes se sont mariées en emportant des dots piteuses et les hommes ont fini par louer leurs armes aux plus offrants comme de vulgaires mercenaires. Lorsque j’ai quitté le Sud pour me joindre à l’Ordre en l’an 1174, j’avais seize ans et je faisais partie des derniers Montbard.
— Vous voulez dire que ces terres étaient les vôtres ? demandai-je en désignant les alentours d’un grand geste.
Une ombre de nostalgie traversa son œil valide lorsqu’il parcourut l’horizon du regard. Il hocha lentement la tête.
— Depuis deux jours déjà, nous sommes dans le domaine ancestral des Montbard.
— Celui qui fut cédé aux Templiers ?
— Non. Celui qui restait après qu’André se fut dépossédé.
— Votre famille semble avoir été fort aimée des serfs, si j’en juge par les agissements du vieux.
— Nous avions la réputation de les bien traiter, dit-il en faisant la moue. Un peu comme ton père. Comme tu aurais dû le faire, toi aussi. Et il semble que quelques vieillards en aient encore souvenir.
— Vous vous souvenez de ce vieux ?
— Oh oui ! Il était déjà un homme mûr lorsque j’étais enfant. Mon père, que j’accompagnais dans ses tournées, discutait souvent avec lui. Je suis passé par cette même route pour me rendre à la commanderie de Pézenas pour y être initié, voilà bien longtemps. Je me souviens même qu’il m’a salué de la main en appelant sur moi la bénédiction divine. Il est peut-être perclus par l’âge, mais son œil est encore vif, le bougre.
— Vous êtes revenu au moins une fois.
— Sur l’ordre de Robert de Sablé, oui. Mais avec une mission très précise à remplir et l’ordre formel de rester incognito.
Songeur, Montbard laissa son regard errer sur les terres qui avaient jadis été celles de sa famille.
— Par Dieu, je ne croyais pas revoir cet endroit de mon vivant. Deus, immaculata via eius 1 , disait le prophète. J’espère seulement que l’on ne me reconnaîtra plus.
— Pourquoi cela ? demandai-je étonné.
—
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