L'Héritage des Cathares
tête en guise d’assentiment.
— Je n’ai pu m’empêcher de noter, en traversant le camp, que les troupes de monseigneur ne semblaient guère prêtes à entreprendre un assaut. Les hommes sont oisifs et désœuvrés. Pardonnez mon impudence, qui n’a d’autre raison que de bien vous servir, mais j’aimerais connaître les circonstances dans lesquelles nous nous trouvons.
Les lèvres minces du légat se retroussèrent en un petit sourire condescendant qui lui donna l’air d’un reptile.
— Soit. Nous savons apprécier un homme de guerre qui ne fonce pas tête baissée. Nous te renseignerons donc, soupira l’ecclésiastique. Béziers nous cause bien des migraines. Cette maudite cité est si bien fortifiée que nous craignons fort de devoir attendre que ses habitants crèvent de soif et de faim. À moins que Dieu n’envoie une pestilence providentielle.
— Avez-vous songé à utiliser vos catapultes pour lancer des cadavres bien pourris derrière les murailles ? Parmi tous ces soldats, il doit bien s’en trouver quelques-uns qui sont morts de contagion.
— Bien sûr. Mais les maudits hérétiques les renvoient aussitôt dehors.
Amaury tendit la main et un gobelet y fut aussitôt déposé par un des gardes. Il écarta son mouchoir, but une petite gorgée, la fit tourner dans sa bouche, l’air critique, puis avala.
— Nous assiégeons Béziers depuis quelques semaines déjà, poursuivit-il. Nos troupes sont beaucoup plus nombreuses que les quelques centaines d’hommes retranchés derrière les murailles. La ville est à peu près coupée de l’extérieur, mais, je ne sais par quel passage secret, les vivres continuent d’y entrer et les fuyards d’en sortir.
— Personne ne connaît suffisamment la cité pour vous en révéler les passages secrets ?
— Parmi les nobles occitans qui sont dans notre camp se trouve le comte Raymond VI de Toulouse, lui-même un sympathisant cathare que nous avons réformé à coups de fouet sur le parvis de l’église Saint-Gilles l’an dernier. Depuis, le mécréant est aussi loyal qu’un chien battu. Il ne sait que faire pour nous apporter son aide - sans doute pour éviter que les croisés ne s’emparent de ses terres. Mais de Béziers, il ne connaît que peu de choses.
— Pourquoi ne pas négocier une reddition ?
— La cité est menée par un jeune effronté, Raymond Roger Trencavel, vicomte de Béziers et de Carcassonne. Il se trouve qu’il est le neveu de Raymond de Toulouse. Par son intermédiaire, nous avons bien tenté de discuter, mais en vain. Ce maudit hérétique se croit tout permis et ose nous regarder de haut.
Il but une autre gorgée et continua.
— Voilà quelques jours, Raymond nous a annoncé qu’il avait reçu un message de son neveu, qui se déclarait prêt à se soumettre à la Sainte Eglise. Peuh !
— Dois-je comprendre que ce Trencavel n’a pas la confiance de monseigneur ?
— Que non ! Et il ne l’aura jamais ! s’écria le légat, empourpré de colère. Ce suppôt de Satan brûlera en enfer !
— Ne peut-il être converti ?
— Lui ? Plutôt tenter de faire voir la vérité à une pierre ! Après la mort de son père, son tuteur était Bernard de Saissac, un hérétique notoire qui l’a bien endoctriné. Et, comme si cela ne suffisait pas, le régent des terres de Trencavel était nul autre que le comte Raymond Roger de Foix, dont la sœur est sans doute la Parfaite cathare la plus connue en ces terres.
— Une. Parfaite, monseigneur ? s’enquit Evrart.
Le légat s’emporta, le visage rouge d’indignation.
— L’équivalent sacrilège de nos évêques dans l’église cathare. Car ces mécréants acceptent même les femmes pour prêtres, cracha Amaury, l’air dégoûté. Du haut de ses vingt-quatre ans, cet impertinent de Trencavel n’est catholique que de nom. Pas plus tard que l’an dernier, il a chassé le pieux évêque de Carcassonne pour le remplacer par un homme dont la mère, la sœur et les trois frères sont des cathares connus ! Pis encore : il protège les Juifs, ceux-là mêmes qui ont crucifié Notre-Seigneur Jésus-Christ. Il leur confie des postes importants à sa cour et fait des affaires avec eux ! Il a violé tant de lois divines qu’une offre de paix de sa part ne peut être qu’un nouveau soufflet au visage de la Sainte Église. Nous lui avons fait dire que la seule façon dont il
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