L'Héritage des Templiers
lâcheté, à la luxure ; leurs péchés remontaient à plusieurs siècles, quelques décennies après la purge, lorsque la confrérie était affaiblie, en proie au chaos. Malheureusement, cette punition avait une portée plus symbolique que réelle. Le nom du maître apparaîtrait tout de même dans les chroniques, ses échecs et ses succès seraient dûment répertoriés ; mention serait faite cependant que ses frères le trouvaient indigne de rester présent dans leur mémoire.
Dans les semaines qui venaient de s’écouler, ses lieutenants s’étaient assurés que les deux tiers des voix requis seraient atteints à l’occasion du vote pour envoyer un message au sénéchal. Cet usurpateur devait savoir à quel point la lutte qui s’annonçait serait dure. Certes, l’insulte de voir son autorité contestée importait peu au maître désormais. Il serait inhumé auprès de ses prédécesseurs, quoi qu’il advienne. Non, en lançant ce défi, de Rochefort cherchait plutôt à rabattre le caquet du successeur désigné et à motiver ses alliés. Il se servait d’un outil ancien que la règle mettait à la disposition des frères, héritage d’une époque où les mots honneur et mémoire avaient encore un sens. Et il en avait ressuscité l’usage avec succès à l’occasion de la première bataille d’une guerre qui prendrait fin au coucher du soleil.
Le prochain maître, ce serait lui.
L’ordre des Pauvres Chevaliers du Christ et du Temple de Salomon existait, égal à lui-même, depuis 1119. Philippe IV, roi de France, qui portait le sobriquet méprisable et inapproprié de Philippe le Bel, avait tenté en 1307 de le faire disparaître. Mais, à l’instar du sénéchal, le roi avait lui aussi sous-estimé ses adversaires et avait fait de l’ordre une organisation secrète.
Jadis, des dizaines de milliers de frères administraient commanderies, fermes, temples et châteaux situés sur les neuf mille propriétés disséminées à travers l’Europe et la Terre sainte. La simple vision d’un chevalier vêtu de son habit blanc frappé de la croix pattée effrayait l’ennemi. Les Templiers ne pouvaient encourir l’excommunication et étaient exemptés des devoirs féodaux. L’ordre était autorisé à conserver tous les butins de guerre. Ne rendant de comptes qu’au seul pape, l’ordre des Templiers était une nation en soi.
Mais l’ordre n’avait pas eu à livrer bataille depuis sept siècles. Il s’était retiré dans une abbaye pyrénéenne et se faisait passer pour une communauté monastique comme tant d’autres. Les contacts avec les évêques de Toulouse et Perpignan avaient été maintenus et tous les devoirs requis par l’Église catholique romaine étaient accomplis. Rien n’aurait pu distinguer l’abbaye, ni attirer l’attention sur la confrérie, ni pousser les gens à s’interroger sur ses activités. Les frères prononçaient deux vœux : l’un, par nécessité, les engageait envers l’Église ; l’autre, primordial, les engageait envers la confrérie. Les rites séculaires avaient toujours cours, même si, aujourd’hui, c’était à la faveur de la nuit, à l’abri d’épais remparts, derrière le portail cadenassé de l’abbaye.
Et tout ça pour le legs des Templiers.
La futilité et le côté paradoxal de cette responsabilité l’écœuraient. L’ordre existait pour sauvegarder ce trésor qui n’existerait pas sans l’ordre.
Quel dilemme !
Mais c’était la responsabilité de la confrérie.
Sa vie entière n’avait été qu’un prélude aux heures qui approchaient. Né de parents inconnus, il avait été élevé par les jésuites dans un pensionnat de la région bordelaise. Au commencement de l’ordre, criminels repentis, amoureux éconduits, marginaux venaient grossir les rangs des Templiers. Aujourd’hui, les chevaliers venaient de tous horizons. C’est dans le monde séculier que la majorité des recrues étaient repérées, mais c’étaient des sociétés religieuses qu’étaient issus les véritables chefs. Les dix derniers maîtres avaient tous été formés dans des monastères. Lui avait d’abord étudié dans une université parisienne avant d’intégrer le séminaire d’Avignon. Il y enseignait depuis trois ans quand l’ordre l’avait contacté. Il s’était alors soumis à la règle avec un enthousiasme sans bornes.
En cinquante-six années, il n’avait jamais connu la chair d’une femme et n’avait jamais été tenté par
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