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L'holocauste oublié, le massacre des tsiganes

L'holocauste oublié, le massacre des tsiganes

Titel: L'holocauste oublié, le massacre des tsiganes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christian Bernadac
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appareil, mû électriquement, débitait un mètre cube de béton toutes les cinq minutes. À cette cadence, une immense benne nous tendait, automatiquement, sa gueule insatiable et on se hâtait d’y jeter, à la pelle, des pierres, sans relâche, et des sacs de ciment qu’on éventrait, au couteau, au-dessus du tank. Le brassage et l’addition de l’eau s’opéraient ensuite et le mélange était transporté sur le chantier voisin, au moyen d’une courroie convoyeuse.
    — Aucun répit ne nous était laissé, que nous fussions chargés de voiturer les wagonnets ou d’alimenter la benne. « Schaufeln ! Schaufeln ! Immer schneller ! » « Pelletez ! Pelletez ! Toujours plus vite ! », nous criait le tsigane, avec des sacrements invraisemblables et en faisant siffler sa cravache à nos oreilles. Nous nous agitions de notre mieux. Nos pelles étaient incommodes, avec leur plateau trop large et leurs bords d’attaque en dentelle et nous avions une peine incroyable à les enfoncer dans le tas de pierres concassées. Au bout d’une heure de cette besogne, j’étais fourbu : mes bras dépourvus de muscles et comparables à des bâtons de chaise, mes jambes tout aussi décharnées, mes reins cassés, mon corps en un mot, refusaient de m’obéir. Comment ai-je réussi à tenir une matinée entière devant une tâche pareille, je me le demande encore aujourd’hui. La perspective de la vacation du soir était bien faite pour me terroriser.
    — Je m’y attelai néanmoins, n’ayant guère d’illusions sur ce qu’il fallait en attendre, et persuadé que le bâton du tsigane aurait le dernier mot de l’histoire. La réalité ne tarda pas à dépasser mes plus sinistres appréhensions.
    — La pelle qu’on m’avait mise entre les mains était encore plus lourde et plus incommode que celle du matin et pour la manœuvrer, je devais prendre appui sur ma cuisse droite, la seule qui fût à peu près valide, ce qui me faisait travailler en gaucher. Ceci ne fut pas du goût du Kapo qui, après m’avoir adressé quelques « Schaufeln ! » impératifs, me décocha deux gifles retentissantes qui m’envoyèrent au sol. L’ordre de me relever : « Auf ! Auf ! » fut ponctué d’une douzaine de coups de pieds dans le ventre. Le dirai-je ? La souffrance me parut supportable, grâce à ma vareuse molletonnée et peut-être aussi parce que le froid intense qui régnait alors m’avait engourdi et rendu presque insensible. Malheureusement, mes efforts pour me relever furent vains. Le tsigane, feignant de croire que je mettais de la mauvaise volonté à lui obéir, ou me croyant réellement simulateur, s’empara de ma pelle et m’en asséna, sur la tête et sur le dos, des coups extrêmement violents, d’abord avec le plat, ensuite avec le manche de l’outil. Il s’aperçut bien vite que je m’efforçais de protéger ma jambe malade déjà tout ensanglantée, et, ayant découvert le point vulnérable, il la piétina et la martela de coups de talons.
    — Je rampais dans la neige fondue, tournant en rond dans l’espèce de piste que mon corps avait tracée, comme ces crustacés qui, avec trois pattes cassées, viennent mourir sur le sable des plages. Ma casaque, imprégnée d’eau et qui gelait sur moi, devenait rigide comme une planche et les coups pleuvaient toujours…
    — J’entrevoyais, comme dans un rêve, le visage grimaçant de mon tortionnaire sadique, mes camarades apitoyés ou simplement curieux de voir combien je durerais encore, à l’arrière-plan, un S.S. impassible qui regardait la scène d’un air détaché, la bétonneuse géante qui tendait sa benne goulue comme le menton féroce d’un prognathe, les grues aux formes et aux gestes apocalyptiques et tout ce décor grandiloquent et inhumain des Alpes tyroliennes qui, pour moi, évoqueront toujours désormais, l’image de la mort…
    — Alors, je fermai les yeux et je n’entendis plus bientôt que les imprécations ordurières du tsigane, le roulement sourd des wagonnets et les coups de sifflet des petites locomotives dont les mécaniciens saluaient, au passage, celui qui allait mourir !
    — Ainsi, le vieux qui avait résisté si longtemps, le vieux qui avait vu passer, qui avait réconforté tant de camarades français et autres, le vieux allait partir à son tour ! Ah ! C’était bien la peine de s’être arc-bouté pendant un an, de toutes mes forces physiques et morales, pour agoniser misérablement sous la

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