L'holocauste oublié, le massacre des tsiganes
polonais, employé à l’intendance du Krankenbau, conçut pour elle un amour sincère. Il me dictait de petites lettres en polonais que je traduisais en allemand pour les lire ensuite à Frieda. La jeune fille épelait avec moi et apprenait à lire.
— Le docteur Mengele venait presque tous les jours au camp tsigane et chaque fois les enfants couraient au-devant de lui avec des cris de joie : « Oncle Mengele, oncle Mengele. » Il nous questionnait avec beaucoup de simplicité, le garde-à-vous devant lui n’était pas rigide. Après l’inspection, il se rendait à la sauna où il examinait les types de tsiganes intéressants.
— Un jour, je ne me souviens pas si c’était en septembre ou octobre 1943, on annonça l’arrivée du « Lagerarzt ». Les préparatifs habituels pour sa réception étaient terminés et le « Lagerarzt » fit son entrée, mais… ce n’était pas Mengele, c’était Thilo. Autant Mengele avait un visage ouvert aux traits réguliers, autant Thilo avait le visage fermé et sévère.
— Ce docteur Thilo fait une brève inspection du block et s’adresse à M me L. A., notre consœur, et lui demande de lui montrer ses malades. Il en inspecte plusieurs. Les pauvres femmes se tenaient à peine debout. Il leur dit de regagner leur couche et se dressant ensuite au milieu du Block, le bras tendu et l’index pointé vers la pauvre consœur L. A. dans la posture de l’Archange à l’épée flamboyante chassant Adam et Ève du Paradis, il déclama d’une voix terrifiante :
— « J’ai vu ces femmes à leur arrivée au camp. Elles étaient florissantes (il a dit blühend). Regardez dans quel état vous les avez mises. Si vous continuez, je vous chasserai du Krakenbau et vous irez crever (sic) (il a dit verrecken) – dans un Kommando.
— La pauvre consœur, effondrée sous l’injure, tremblait de honte, d’humiliation, et de peur. Elle n’avait même pas la possibilité de s’asseoir. Je n’ai pas besoin de dire que madame (je crois qu’on l’appelait mademoiselle) L. A. connue pour ses travaux sur le traitement de la tuberculose, ne prenait pas un instant de répit et consacrait tout son temps à ses pauvres malades. Thilo parti, nous nous approchâmes d’elle et le docteur Sn, lui dit en notre nom pour la consoler :
— « N’importe quel médecin du camp peut recevoir la même réprimande. En effet nous sommes coupables : du manque de médicaments, de la nourriture immangeable pour des malades, du manque d’hygiène, de la promiscuité.
— J’ai peut-être revu le docteur Thilo une fois au camp tsigane car il devait probablement se consacrer aux sélections.
— Le début de l’automne était beau et chaud et des rumeurs circulaient que les convois venant de France et d’ailleurs se raréfiaient. Cela faisait renaître l’espoir et encourageait le personnel soignant à intensifier les efforts pour guérir les malades.
— Il y avait dans notre Block un jeune Pfleger inscrit comme « Reichsdeutscher » nommé Erich, dont le visage ressemblait d’une façon étonnante à la célèbre statue connue sous le nom de « Cheik-el-Beled ». Ce jeune infirmier racontait confidentiellement à tout le monde qu’il était tsigane (ce qui semblait certain) et qu’il était au camp pour avoir séduit des dizaines de jeunes épouses d’officiers combattant au front (ce qui était peut-être moins certain). Il tirait naïvement orgueil d’avoir de ce fait doublement « roulé » le Reich. Je lui ai conseillé à plusieurs reprises de cesser de parler de ces choses-là. Chaque fois que je le voyais en conversation avec un Polonais ou avec un tsigane et surtout avec un Allemand, je m’approchais pour essayer de donner une autre tournure à l’entretien car j’en connaissais le sujet en le voyant rire avec une mine de triomphateur. Mes efforts ont certainement échoué car j’ai vu par la suite où ces « confidences » qu’on pourrait appeler publiques, l’ont malheureusement conduit.
— Les tsiganes allemands qui écoutaient ses confidences s’en réjouissaient. C’était une façon ingénue de tirer vengeance des « scélérats » comme ils appelaient ceux qui les avaient déportés.
— En général, les tsiganes tchèques résistaient mieux à l’emprisonnement que les tsiganes allemands et c’est compréhensible : les tsiganes tchèques savaient pourquoi ils étaient au camp. Ils sentaient qu’ils partageaient les
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