L'holocauste oublié
Unterscharführer, Johannes Zabel, peintre en bâtiment de son métier, allait faire un prélèvement de sang et rapportait de chaque malade 700, 800 et jusqu’à 1 000 centimètres cubes de sang. Nous ignorons si ces malades sont morts ou s’ils ont survécu à ces petites interventions. Seulement, étant donné le régime auquel nous étions soumis, nous doutons fort que beaucoup de ces malades aient pu supporter de telles saignées.
— C’est également ce même sous-officier, souvent accompagné de notre chef, qui allait à Birkenau aux fours crématoires pour nous rapporter des malles pleines de chair humaine destinée à la préparation des bouillons de culture. Et ceci se pratiquait régulièrement une fois par semaine. Cette chair humaine ne provenait pas de gazés mais de fusillés.
— Au laboratoire, étaient occupés des détenus spécialistes et chacun ne devait travailler que dans une seule branche. C’est ainsi par exemple que personnellement nous étions affectés aux travaux sur la diphtérie.
— Les examens qui étaient faits étaient exécutés avec le plus grand soin, car la surveillance était terrible et nous redoutions les conséquences d’une erreur.
— La confiance ne régnait pas autour de nous. Nous devions conserver les étalements pendant plusieurs jours pour pouvoir les présenter aux chefs à chaque demande : mais cependant, quand nous savions qu’un examen appartenait à un détenu, nous ne donnions jamais un diagnostic positif. C’eût été la signature de son arrêt de mort. Les Allemands redoutaient les maladies infectieuses ; ils avaient trouvé une méthode radicale pour les supprimer : l’utilisation systématique de la chambre à gaz et du four crématoire.
— Combien de dizaines d’échantillons de crachats où les B.K. fourmillaient que nous avons donnés comme négatifs ? Ceux qui n’ont pas vécu dans un camp de concentration ne pourront certainement pas comprendre notre geste. Comment ! Fournir des résultats erronés ?… En agissant ainsi nous avons simplement prolongé la survie de nos camarades. De toute façon ils n’étaient pas soignés.
— Au laboratoire de bactériologie, nous avons travaillé avec le professeur Tomasek, professeur de bactériologie de l’Université de Brno (Tchécoslovaquie), détenu pour avoir aidé un de ses collègues à s’enfuir de son pays. Il était élève de Calmette et de Roux.
Qu’il nous soit permis de rendre ici hommage à cet homme, le plus intègre que nous ayons rencontré au camp de concentration. Imprégné de culture française, il se plaisait à converser avec nous dans notre langue. Il nous raconta un jour qu’ayant écrit un livre de bactériologie, son premier manuscrit était rédigé en français et qu’il l’avait traduit ensuite dans sa langue maternelle.
— Avec le professeur Tomasek nous nous entretenions souvent des brutalités des Allemands, et nous étions d’accord pour admettre que tous les Allemands, sans distinction, étaient coupables des atrocités commises dans les camps de concentration.
— Nous avions énormément de travail au laboratoire. Les S.S. qui le dirigeaient avaient tout intérêt à avoir un très grand nombre d’analyses, pour ne pas être envoyés au front. C’est pourquoi ils prélevaient le sang, les urines, les matières fécales, crachats, frottis de gorge à des détenus qui, quelques jours après, étaient envoyés à la chambre à gaz. Nous qui savions l’inutilité de tous ces examens, nous étions obligé de les exécuter avec un semblant de sérieux.
— Ils poussèrent même le cynisme plus loin ; dans les derniers mois de 1944, lorsque le front russe se rapprochait d’Auschwitz et que tous les hôpitaux militaires étaient déjà évacués à l’arrière, nos chefs S.S. avaient inventé un moyen pour faire des analyses : avec un écouvillon qui servait à prélever les fausses membranes dans la gorge, ils faisaient de nombreux prélèvements de matières fécales dans le rectum. C’était l’amusement spécial de certains S.S. : les Rottenführer Kapmayer, Sender et autres ; ils trouvaient plaisant d’aller au camp des femmes, de les faire déshabiller, de les faire défiler devant eux pour ces prélèvements au rectum. De cette manière, nous recevions 2 000, jusqu’à 3 000 échantillons de matières par jour à examiner, pour découvrir les porteurs de germes du bacille typhique.
— Il eût été impossible
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