Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
L'homme au ventre de plomb

L'homme au ventre de plomb

Titel: L'homme au ventre de plomb Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-François Parot
Vom Netzwerk:
et
prolongeait ses saluts de gracieuses inclinaisons de la tête.
Nicolas aperçut M. de Sartine qui entrait dans sa loge après
avoir accompagné la fille du roi dans la sienne.

    Le rideau s'était
levé sur le prologue. La Borde s'était empressé
de rejoindre Nicolas. Un chœur triomphal éclatait,
accompagnant l'apparition de la déesse de la Monarchie debout
aux marches d'un temple antique. De jeunes enfants tenaient sa traîne
fleurdelisée. Une Victoire cuirassée et casquée
surgissait, campée sur un char conduit par les génies
de la guerre ; elle en descendait pour couronner la déesse de
lauriers. Le chœur s'exaltait et reprenait son refrain :

    Rendons-lui les
honneurs
Dignes de sa puissance
Qui couronnent les exploits
Du plus puissant des rois.

    Des déités
agitaient des palmes. M. de La Borde serra le bras de Nicolas.

    â€“ Voyez le
sujet blond, à droite... la deuxième en lévite.
C'est elle.

    Nicolas soupira.
Il était bien placé pour connaître le sort fatal
de ces filles d'Opéra. Elles commençaient leur carrière
dans les chœurs ou dans la danse pour être abandonnées,
à peine sorties de l'enfance, à la licence des mœurs
et à la puissance de l'argent. Sauf à franchir les
étapes difficiles des degrés du libertinage, ce qui
demandait habileté et prudence, et à parvenir au statut
privilégié de fille entretenue, leur avenir les
conduirait fatalement, une fois les prestiges de la prime jeunesse
effacés, à la misère et à la plus basse
crapule. Au moins cette petite au minois charmant pourrait-elle tirer
son épingle du jeu avec un bon garçon comme La Borde.
Peut-être.

    Le prologue
continuait à développer ses magnificences vocales. Le
genre en était passé de mode depuis des années ;
Rameau lui-même y avait mis fin et avait remplacé cette
figure obligée par une ouverture en relation avec le
spectacle. Nicolas s'étonna de ces « vestibule
éclatant » qui encensait la monarchie et magnifiait
ses succès militaires, alors que les événements,
faits de succès sans lendemain et de revers indécis, ne
prêtaient guère à l'emphase ni à la
réjouissance. Mais, emporté par les habitudes, chacun
feignait. Ce n'était pas mauvaise politique aux yeux de ceux
qui, dans l'ombre, guettaient les défaillances de l'esprit
public. Le rideau retomba, et M. de La Borde soupira, sa déesse
avait disparu.

    â€“ Elle est à
nouveau là au troisième acte, dit-il les yeux
brillants, dans la danse des pagodes chinoises 4 .

    Le spectacle avait
repris et l'intrigue des Paladins suivait son cours tortueux et
convenu. Nicolas, toujours attentif à la musique, nota
l'imbrication des formes vocales déjà utilisées
dans Zoroastre 5 ,
la place accordée aux récitatifs accompagnés et
la référence marquée à l'opéra
italien dans la multiplication des ariettes. Tout emporté
qu'il était par l'orchestration, il ne prêtait guère
attention à l'intrigue : l'amour pervers du vieil Anselme pour
sa pupille Argie, elle-même éprise du paladin Atis. Au
premier acte, les airs de danse, dont la gaieté était
relevée par des parties virtuoses de cors, le remplirent de
bonheur. A la fin du deuxième acte, au moment de l'air
d'effroi « Je meurs de peur », Nicolas qui
avait toujours un œil sur la salle s'aperçut que quelque
chose se passait dans la loge royale. Un homme venait d'y entrer et
parlait à l'oreille d'un vieillard à l'allure militaire
assise à droite derrière la princesse, et qui devait
être le comte de Ruissec. Le vieux gentilhomme s'inclina à
son tour vers une dame âgée à cheveux blancs et
mantille de dentelle noire. Elle s'agita et le jeune homme vit sa
tête osciller en signe de dénégation. Toute cette
scène, de loin, paraissait muette, mais la fille du roi
s'inquiéta et se retourna pour connaître la raison de ce
désordre.

    A ce moment, le
rideau tomba sur la fin de l'acte. Nicolas vit alors le même
homme entrer dans la loge de M. de Sartine et s'adresser à
lui. Le magistrat se leva, se pencha vers la salle pour scruter le
parterre et, ayant finalement repéré Nicolas, lui
adressa un signe péremptoire d'avoir à le rejoindre.
Dans la loge royale, l'agitation gagnait et

Weitere Kostenlose Bücher