L'honneur de Sartine
finement hachées, étaient poêlées avec du beurre, des champignons, des truffes en tranches, des laitances de poisson, des culs d’artichauts et tout l’assaisonnement nécessaire. Ce mélange versé dans le bouillon devait être lié d’un peu de crème et d’un soupçon de farine avec fines herbes et un filet de limon. Le plat, en période d’été, se dégustait tiède accompagné de croûtes rôties. Comme de tradition à l’hôtel de Noblecourt, le souper fut arrosé, de vin blanc de Jasnières et de vin rouge d’Irancy. En dessert, les convives virent apparaître un pot de la fameuse confiture de Mme Sanson, de cerises farcies aux framboises, servie avec des croquets.
Naganda, enthousiasmé de la chair et du récit, pria Madame Catherine de consentir à ce qu’il l’accompagnât un matin à la halle pour admirer en détail la variété des produits présentés à la gourmandise des
Parisiens. L’intéressée, retrouvant le langage des camps, s’en déclara flattée, jura qu’elle le trouvait à son goût car il ne fallait pas lui en promettre à table, signe toujours encourageant chez un homme, et qu’elle serait ravie d’apparaître à la halle, flanquée d’un aussi fier gaillard. Noblecourt s’étouffant de rire l’envoya chercher les liqueurs. La soirée se poursuivit, l’hôte, décidément en forme, ayant souhaité les régaler de quelques airs de flûte traversière qui troublèrent tard dans la nuit le silence de la rue Montmartre.
Vendredi 9 juin 1780
Au petit matin, devant le chocolat brûlant, Nicolas demanda à Naganda de prendre une voiture, de se rendre à Versailles et de ramener Louis à Paris, si toutefois son service aux pages le permettait. Il lui fit confidence des raisons de cette convocation tout en le priant de n’en rien dévoiler à son fils. Au Châtelet, Bourdeau l’attendait, disposant désormais des comptes rendus des rapports et des témoignages qui autorisaient l’établissement d’une chronologie précise des événements survenus rue des Mathurins. Il revenait de tout cela que le sérieux de la surveillance avait quelque peu cédé à la longueur et à la monotonie des attentes.
Penaud, Rabouine exposa les faits. Dans l’après-midi, il était parti se restaurer dans une guinguette proche. En son absence, la mouche de permanence, altérée par la chaleur, avait décidé d’avancer sa tâche qui consistait à dissiper le portier. Il l’avait donc prématurément entraîné dans un cabaret des
barrières. À leur retour, vers cinq heures, le portier ivre mort avait été jeté sur sa couchette et la mouche, croyant son travail achevé et ne voyant pas son chef, avait cru sa consigne levée et s’en était allée. Entre-temps, Rabouine réapparaissait. À six heures, l’homme de Sartine lui remettait le message forgé de Nicolas. L’inconnu espérait, sans doute, écarter la police et revenir à la nuit tombée pour fouiller en toute tranquillité l’hôtel de Ravillois. Rabouine, n’ayant pas revu son homme, avait lui aussi levé le camp. Tout cela démontrait que, même avec les éléments les plus avertis, il arrivait que des failles désorganisassent un plan fixé. Désespéré, Rabouine s’en voulait beaucoup de n’y avoir point veillé avec plus de précision. Nicolas laissa Bourdeau le secouer d’importance.
Ainsi, à partir de six heures, en gros, l’accès de l’hôtel était libre. Des témoignages recueillis chez des voisins, et notamment chez une vieille dame aveugle mais de ce fait très attentive aux bruits du quartier, il apparaissait qu’on n’avait rien entendu. Le silence avait régné dans la rue jusqu’à l’arrivée d’un cavalier vers neuf heures, puis d’un autre quelque temps après. Ensuite, l’ancêtre s’était endormie. Pour Nicolas, il était évident que l’homme de Sartine était revenu vers neuf heures, suivi peu après par son assassin. Dans tout cela rien n’indiquait ni n’infirmait un lien entre les deux meurtres, et c’était bien là le nœud du problème.
– Le vin est tiré, reprit Nicolas, il faut le boire. Cela apprendra à chacun d’entre nous à être à l’avenir plus circonspect. Le diable niche dans les détails. Avant de réfléchir à nos prochaines investigations, je vais donner à M. Necker, pour répondre à ses souhaits, une pâture où il pourra s’ébattre à sa guise.
Bourdeau se mit à rire.
– Du foin, du trèfle, de l’orge ou quelque bon
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