L'honneur de Sartine
Saint-Honoré. Le bureau de permanence devint soudain trop étroit. L’amoncellement de satin rose, orné de dentelles et de fleurs brodées, entra dans un bruissement de tissus éraillés et de baleines forcées. L’ensemble se déploya enfin dans un crépitement d’élytres. Sa masse emplit le bureau et avec elle les remugles des parfums composites dont elle était imprégnée à outrance. La maquerelle reconvertie posa contre le mur une canne enrubannée.
– Chère Paulet, dit Nicolas, lui prenant ses deux mains boudinées pour y déposer, à la grande surprise de Bourdeau, un baiser. Soyez la bienvenue ! Pierre, avancez une chaise.
Elle n’avait pas repris son souffle et poussait de petits cris ravis. Elle s’effondra sur le siège qui craqua sous son poids.
– Ouf ! Cet escalier… euh… bien… raide.
– Prenez votre temps.
– Tu connais quel changement a pris ma vie. Tu sais qu’après avoir procuré les plaisirs de Vénus à la cour et à la ville, un mystérieux mouvement m’a fait troquer cet incertain négoce contre celui de maîtresse des oracles…
L’éloquence du ton de la Paulet ne laissait pas de surprendre le commissaire. La fonction créait-elle l’organe ?
– Savez-vous, dit-il, chère Paulet, que j’ai éprouvé les effets de la sagacité de votre divination et que je vous en sais fort gré.
– De quoi tu causes ? J’en ai point souvenance. Dans ces moments-là, je ne suis point moi-même. J’ai des vapeurs et des vertiges. Tu es bien mignon de me remercier. C’est pas toujours le cas ! En v’là de la pommade !
Dans le visage mafflu, cerné d’une perruque blonde, qui semblait posé sur cette énorme masse rose, les petits yeux inquisiteurs fixaient Nicolas. Il se rassura, la vieille Paulet revenait au galop à son habituel bagout.
– Voilà ce qui m’amène. M’avais-tu point retournée de questions sur la caillette qu’on nomme la Lofaque ?
– Oui. Tu as du neuf sur elle ?
– Et comment ! v’là-t-y pas qu’elle surgit hier soir à l’heure de mon ratafia pour, prétend-elle, me consulter sur son avenir. Ton avenir, ma fille, que je me dis, tu l’aurais devant toi si, au lieu de cracher sur mes avis et de faire la sucée, t’les avais écoutés. Fais attention, la Paulet qu’je me susurre. Pourquoi qu’elle me tanne et quoi qui la pousse à m’interroger ? Hein ? On n’a jamais tripoté ensemble.
– Et alors ?
– Alors tu me connais. Je fais la bonne caille et prends l’air intéressé, feignant de bâiller aux couches.
– Aux mouches.
– Tu ne changeras jamais ! Mouches, couches, touches, je m’en fous comme de Jean de Vert ! Écoute le principal au lieu de gober aux intérêts ! Bref, la Lofaque me supplie de l’aider. Toute une tablature, des dents qui grincent, des roulements d’yeux. J’lui dis Ma fille, il faut d’abord faire reluire l’outil. Elle allonge un louis. Et voilà qu’elle ajoute Ce n’est point pour moi, c’est pour mon amant. La
Paulet qu’aime pas qu’on la lui joue lui répond qu’elle travaille point pour les greluchons, que ceusses qui veulent savoir n’ont qu’à se présenter. V’là-t-y pas qu’elle se lâche en furie, sort de ses gonds et me traite d’un veux-tu, en v’là ! Furieuse, j’étais en passe de lui foutre la pelle au cul 61 quand elle s’effondre tout en sanglots.
Tiens, se dit Nicolas, pour le coup la rechute est complète ! Ce mouvement de surprise n’échappa point à la Cassandre du faubourg.
– Tu me connais. J’la requinque à traits de bonnes paroles et de lampées de ratafia. J’la somme de s’expliquer. La v’là qui débagoule tout, un conte dégoisé qu’une veillée aurait avalé bouche bée ! Toujours la même histoire. Elles s’entichent d’un greluchon pour le plaisir, pour mieux supporter les autres, ceux du négoce quotidien. J’la dépiaute peu à peu. Rage, pleurs. J’te regrince ! S’avère que son coquin taillait p’têt ben sa tablette, mais point la route. Depuis des jours il tirait sa bordée avec peine, tout démentulé qu’il était.
Elle lui lança une œillade salace.
– Bref, le trouvant décidément peu gaillard, le soupçon la prend et la jalousie suit. Décidée à la mettre à blanc 62 , je gagne à ce qu’elle me chante le menu.
– Vous avez toujours su mettre le monde à l’aise.
Elle eut une moue suspicieuse.
– Comment j’le prends ? Bref, elle ne m’a pas mâché la
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