L'honneur de Sartine
en bas…
– Ah ! Monsieur, ce serait une trop longue histoire, mais je connais les usages d’une étude. Un notaire qui vient dresser une minute, un nouveau testament par exemple, est toujours accompagné par son clerc, avec l’écritoire, l’encrier portatif, le papier, les plumes, le canif et la poudre à sécher. Et peut-être du ruban pour relier l’acte.
– Je vois que monsieur a sans doute pratiqué ?
Cela fut dit avec une hauteur méprisante.
– Je le reconnais bien volontiers, il n’y a pas de sot métier.
– Et il ne déroge point, dit Bourdeau, sardonique.
– Allons, monsieur, éclairez-nous. Quelle est la substance de ce document ?
– Que voulez-vous signifier par là ?
– Rien d’autre que ce que j’ai dit.
Le tabellion hésita un moment, puis céda.
– Bien… Mon client avait établi comme hoir universel de tout son bien sa nièce, Charlotte, née Ravillois.
– Le document est bien épais.
– C’est qu’en effet la fortune de M. de Chamberlin est considérable.
– Et le détail ?
Après avoir chaussé des besicles, le notaire feuilleta le testament.
– La richesse vient de loin dans cette famille. À l’origine, des offices en province, en Champagne notamment. Un trisaïeul sous les rois Valois, maître des eaux et forêts. Des opérations fructueuses avec des traitants durant la guerre de succession d’Espagne. Un grand-père trésorier général de la Marine. Enfant, M. de Chamberlin avait hérité cette charge à la mort de son père. Plus tard, il fit un échange fructueux et obtint le contrôle général. Une honnête administration, un patrimoine lentement amassé sans prodigalité et des alliances favorables ont fait le reste.
– Aussi ?
– Aussi, de l’argent sonnant en quantité chez différentes maisons de la place et à l’étranger, plusieurs immeubles à Paris, quartier Notre-Dame, place Maubert et au Gros-Caillou. Deux terrains rue de la Ville-l’Évêque et une petite maison à Choisy. Des terres en Champagne avec des bâtiments à Sézanne, Sompuy et Chapelaine. Enfin des rentes sur l’hôtel de ville, sur les aides et gabelles, le prévôt des marchands et sur plusieurs maisons à Troyes et Melun. Enfin des traites souscrites par Armand de Ravillois, l’aîné des petits-neveux, pour un montant de deux mille livres.
– Le menu des legs et libéralités ?
– Rentes viagères à tout son domestique de la maison de l’Isle de la Cité, portier, cocher, laveuse, cuisinière, pour le jardinier et le valet à Choisy. Et puis surtout…
Il jeta un coup d’œil sur Tiburce qui, près du lit, veillait son maître.
– … à son valet Tiburce Mauras, pour sa fidélité, sa maison de Choisy et cinq mille livres de rentes viagères, ainsi que toutes ses hardes.
On entendit Tiburce qui pleurait.
– Peste ! Voilà une faveur considérable, commenta Nicolas.
– En effet, et de plus en plus rare de nos jours. L’équité et l’ordre ne dominent pas toujours les volontés de nos contemporains. Tout va donc à Charlotte de Ravillois, excepté trois mille livres pour les pauvres de la paroisse de Choisy dont auront à disposer les messieurs de l’assemblée de Charité.
– Un exécuteur testamentaire est-il désigné ?
Le notaire consulta à nouveau le testament. Ne le connaissait-il point ?
– Je lis qu’il s’agit de Sieur André Marie Patay, commis à la Trésorerie générale de la Marine, demeurant rue du Plâtre. En outre le testateur lui lègue sa montre, un diamant monté en bague estimé à quatre mille cinq cents livres, son carrosse, ses chevaux et la totalité de sa bibliothèque.
– Le tout est, là aussi, considérable ! Mais je suppose qu’il ne fait qu’écorner le principal. Vous semblez étonné de ces stipulations ?
– C’est que, monsieur, je les découvre, n’ayant pas moi-même dressé cet acte. C’était mon père, décédé peu après, qui avait officié. M. de Chamberlin avait bien voulu selon l’usage me conserver sa pratique.
Tout s’éclairait. Bourdeau, qui avait dû éprouver le même sentiment que Nicolas, lui lança un regard entendu.
– C’est donc vous, monsieur, qui procéderiez à l’inventaire après décès en présence de M. Patay ?
– En effet. Je pense qu’il n’y a plus rien à vous apprendre. Puis-je me retirer ?
– Certes. Mais auparavant, une dernière formalité. Nous allons placer des scellés sur les deux cabinets et les
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