L'honneur de Sartine
homme !
– Tu peux le dire pour celui-là. Bien que tu sois le parfait élève de Sartine : bon jugement sur les hommes en général, mais avec quelques malheureuses exceptions.
– Et assurément Tiburce en est une. Ce que tu viens de me révéler est déjà considérable. À quels prolongements dois-je désormais m’attendre ?
– Il s’avère, selon Patay, que l’homme s’est trouvé à l’origine de la corruption du jeune Armand de Ravillois. C’est par son intermédiaire qu’à peine sorti du collège, le jeune homme a été jeté dans les bras d’impures et initié au jeu dans des lieux de cocange , emplis de tricheurs et de crocs toujours prêts à faire cracher la dette plus vite qu’elle ne se fait.
– Ainsi la situation du petit-neveu serait-elle l’œuvre volontaire et déterminée de Tiburce ? Nous allons de Charybde en Scylla ! L’a-t-il corrompu de son propre fait ou pour le compte d’un tiers ? Et, pour être clair, à qui obéissait-il en entraînant le petit-neveu dans la débauche ? Aux injonctions du grand-oncle ? Si j’en juge par le seul rachat des dettes…
– … La réponse est donnée ! Je crois que la seule fidélité de Tiburce, c’est son attachement à son
maître. Les hommes ne sont point d’une pièce. Ce qu’il cherchait pour Albert, c’était des moyens de compromettre Sartine ; Chamberlin n’était pas en cause. Et pour le reste, je demeure persuadé que les haines qui agitent cette famille portent racines des menées que nous mettons au jour peu à peu.
Nicolas fit quelques pas, agité de pensées contradictoires.
– Dans ces conditions, Pierre, il nous faut réexaminer l’interrogatoire du valet par rapport à l’événement, mais aussi en relation avec ce qui vient de nous être révélé.
Il sortit son petit carnet noir qu’il feuilleta avec fièvre.
– Frère de lait du défunt, il paraissait lui vouer une affection sincère.
– C’est peut-être ce qu’il a voulu nous faire accroire ?
– C’est lui qui nous a apporté les indications sur la manière dont M. de Chamberlin usait de sa sonnette de lit. Il est vrai, et tu as raison d’être plus suspicieux que je ne le suis, qu’il a été interrogé comme un témoin extérieur qui ne pouvait, a priori , être mis en cause. Ce fut une erreur de ma part.
– Il nous signale également la présence d’un pli sur la cheminée. Cela paraît extravagant dans le cas où il l’aurait dérobé.
– Ou diantrement habile ! Reste que certaines constatations me font penser qu’il est sincèrement ému par la mort de son maître. Ce qu’il nous raconte sur les querelles de famille, l’hostilité à l’égard de M. de Ravillois, l’attachement pour Charles, tout cela correspond à ce que pensait M. de Chamberlin. Connaît-il lui-même des difficultés financières ? Il tient le ménage d’une fille. De celles qui croquent
aisément les fortunes les plus consolidées en compagnie d’un greluchon. Il faudra creuser dans ce sens. Souhaitait-il la mort de son maître pour en tirer profit ? Et si document secret il y a, comme semblent le croire tous ceux qui s’intéressent aux archives de M. de Chamberlin, n’était-il pas le mieux placé pour le trouver et le négocier ?
– Qui te dit qu’il ne l’a point fait ?
– Mon intuition.
– Alors, la messe est dite !
Des ronds de fumée montaient vers les poutres du plafond.
– Tu as raison d’être sceptique. Ayons, au plut tôt, une conversation serrée avec M. Tiburce.
– Tu devras attendre quelques jours. Le serviteur fidèle se devait d’accompagner le corps de son maître à sa dernière demeure. Et itou de toute la famille. Depuis ce matin la maison est close et abandonnée pour quelques jours. Le domestique est de la partie. Le château de Sézanne étant rarement occupé, toute cette séquelle devra y loger un jour ou deux, de là une présence nécessaire de leurs gens.
– Je tente de rassembler ces données échevelées et de mettre un peu de raison dans ce fatras. Nous sommes en présence de deux énigmes : un obscur drame familial pétri de haines et d’intérêts et une affaire d’État. En raison de ses fonctions, M. de Chamberlin demeure le lien entre les deux. Était-il d’ailleurs irréprochable dans le maniement des deniers publics ? De nos jours, qui sort les mains nettes de certains emplois ?
– Ou qu’il ait détenu une pièce compromettante. Et à partir de ce
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