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L'honneur de Sartine

L'honneur de Sartine

Titel: L'honneur de Sartine Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-François Parot
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semblait qu’il en mesurât les perspectives.
    – Mon cher Guillaume, que voilà un beau terrain qui m’inspire et me fait rêver. Il donne matière à mon imagination.
    – Les imaginations d’un fermier général ? Tout m’est doute et méfiance.
    – Voilà bien notre réputation, mais je ne donne pas dans la construction des nouveaux faubourgs et dans le rachat des terrains. Rassurez-vous, c’est l’amateur de la Chine qui s’exprime. Lorsque l’hori
zon est borné, l’art des célestes consiste à étendre les dimensions en multipliant les objets et les représentations multiples. Artifice et trompe-l’œil alimentent l’illusion. À notre différence, ils considèrent en particulier leur jardin comme un peintre sa toile et groupent les arbres de la même manière que ce dernier placerait ses figures. Ils utilisent des vues en perspectives dissimulées par des massifs, ayant compris que la grandeur apparente des objets diminue et que les couleurs s’affaiblissent à mesure qu’ils s’éloignent de l’œil du spectateur. Les formes et les couleurs des arbres varient toujours et, lorsqu’il existe de l’eau, je vois au fond de votre jardin un petit étang informe…
    – … informe ! gronda Semacgus. Et s’il me plaît à moi qu’il le soit, informe ?
    – Plaise à vous ! Informe, je maintiens. Romanesques, les Chinois multiplieraient les scènes plaisantes ou horribles. Ici, des arbres difformes, des édifices en ruine et des cavernes obscures et puis, aussitôt, en transition, des scènes riantes. Dans votre étang, je verrais bien des rochers aux formes usées liés entre eux par des mortiers, des retenues et des cascades. Et des saules, oui, des saules pleureurs.
    – Ne se prend-il pas pour M. de Sainte-James, l’homme au rocher  ?
    – Moi, s’exclama Bourdeau, je crois que plus il agite sa marotte, plus l’heure du souper s’éloigne.
    – Point de précipitation, dit Noblecourt se jetant dans la bataille avec une fougue juvénile, la chose est d’importance et messer gaster attendra. M. de La Borde, avec qui j’aime croiser le fer, tend à l’ordinaire à révolutionner nos habitudes et nos traditions. Et Gluck par-ci et Gluck par-là ! Quand ce n’est pas cette nouvelle musique, c’est la nouvelle cuisine dont
il nous rebat les papilles. Non content d’imiter l’ennemi anglais dans nos jardins, il faudrait, à l’entendre, se livrer désormais aux imaginations dépravées des talapoins et abandonner notre belle et admirable raison et son ordre immuable.
    – Si je puis me permettre de vous interrompre, je vous répondrais qu’il y a quelque inconséquence de votre part – et foin de votre belle et admirable raison – à soutenir, dans le même temps, la dépravation jardinière des Chinois et chanter à tout va l’intelligence et la subtilité de leur philosophie en bon disciple de Lao Tseu. Chez vous, le vrai est-il vraiment le contraire du faux ou votre plein n’est-il que vide ?
    – Oh ! Le méchant loyoliste . Je ne répondrai pas à d’aussi faux arguments fondés sur de fallacieuses prémisses. Quoi de plus beau en effet qu’un jardin à la française ? Ses lignes droites ou doucement courbées, cette régularité, cette écriture géométrique de verdure et de fleurs, cette symétrie qui flatte l’œil et l’entendement, cette nature dominée prête à entendre des vers et des cantates. Nos jardins, monsieur, sont des alexandrins en musique !
    – Si je puis glisser le mot candide d’un naturel des Amériques où la nature est si grande, si variée et si nourricière que nous ne voyons plus sa beauté qui participe de l’air que nous respirons, il me semble, avec tout le respect que je vous dois, que l’un et l’autre vous torturez la nature, alors qu’il la faudrait conserver telle que les dieux l’ont faite.
    – Le candide tient du Salomon ! remarqua La Borde. Et il est vrai, qu’il y a quelque paradoxe à forcer la nature pour lui rendre, par artifices, son aspect premier.
    – Et j’ajouterai, dit Noblecourt, en propos de pure aménité, quoi de plus magnifique qu’une belle et haute futaie de nos forêts ?
    – Ou qu’une lande de chez moi en mai avec ses ajoncs et ses genêts dorés ?
    – Ou qu’un coteau de Chinon à l’automne quand la vigne est pourpre et le raisin épais ?
    Un double sentiment s’imposa à Nicolas qui le sépara soudain des autres. Certes, il éprouvait un accès de bonheur,

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