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L'honneur de Sartine

L'honneur de Sartine

Titel: L'honneur de Sartine Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-François Parot
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différentes manières.
    – Le mien est un hachis de porc, de blancs de poulet, de graisse de rognons de veau, de ciboulette, de persil et d’herbes. Je pile le tout avec des jaunes d’œufs durs. Certains y ajoutent de la farine, mais j’estime que c’est gâter la partie. En revanche, si je dispose d’un peu de jus de viande ou d’essence de gibier, je l’ajoute sans hésiter avec un trait d’eau-de-vie.
    – Et ce bel appareil dont nous voyons l’achèvement, comment y parvenez-vous ?
    – Je roule mon épaule et la ficelle comme une grosse carotte de tabac.
    – Ah ! dit Semacgus, que voilà une comparaison qui plaît à un marin.
    – Je place au fond de ma daubière des couennes, des bardes, deux pieds de veau fendus, quelques os, du bouillon et un litre de vin blanc un peu suave, sans compter les épices. Je laisse mijoter quatre heures tout doucettement. J’égoutte, je sors la pièce…
    – Vous la déballez ?
    – Point du tout, malheureux ! Vous la voudriez répandue et molasse ? Je ne procède qu’une fois refroidie.
    – Mais cette belle gelée ?
    – Dans le jus de la cuisson passé et dégraissé, je fouette des blancs d’œufs pour le clarifier. Je porte à ébullition, je mets à part, je place dessus un couvercle avec des braises et cela continue à chanter un temps. Les blancs vont absorber toutes les impuretés. Je place une chaise à l’envers sur une table et, entre ses quatre pieds, je tends une étamine et place une terrine en dessous pour y tamiser le tout.
    – De quoi obtenir cette pureté de topaze !
    – J’admire, dit Naganda, la science des Français et le temps qu’ils dépensent pour se nourrir. Et cela deux fois, par le manger et le parler !
    – Ne craignez-vous pas, Guillaume, que ce plat ne soit un peu trop riche pour notre magistrat dont la santé demeure notre souci permanent ?
    – Comment, Nicolas ! rugit Noblecourt. M’en priver ? Moi, procureur du roi ? Oubliez-vous ce que vous devez aux magistrats que le souverain a rendus dépositaires de son autorité, des organes de sa volonté et de ses droits ? Me priver de galantine, c’est pire qu’une injure. Voilà un mal qui commence à se répandre. Chaque jour, je constate que, faute de pouvoir les récuser, on cherche en quelque sorte à les forcer à se récuser eux-mêmes par des imputations, honteuses ou publiques, qu’on ne craint pas de hasarder contre leur honneur et leur intégrité !
    – Oh ! Je crains, dit Semacgus, que le sérieux ne se mêle que trop à la plaisanterie. Quelque excès de bile, sans doute ? Raison de plus pour veiller à l’état de notre procureur et s’attacher à lui procurer un
régime sain, composé de racines bouillies qui peuvent, sans flatter voluptueusement son goût, épargner sa santé.
    – Mais, diantre ! Que faudra-t-il leur dire ? pouffa Noblecourt. Mesurez que vous me brisez le cœur et songez que la bouchée que je vous demande – que dis-je ? – que je vous supplie de m’octroyer, est un devoir d’équité que le ciel vous impose et que le respect vous dicte.
    Poitevin surgit avec un immense saladier dont le contenu coloré intrigua l’assemblée.
    – À condition d’accompagner la viande de ses herbes, je consentirai à vous régaler, un peu.
    – Soit ! Ces couleurs me mettent l’eau à la bouche.
    – Oui, c’est l’effet apéritif et rafraîchissant d’une salade variée. Oh combien ! Elle se présente à vous composée des trois romaines blanches, panachées et foncées, de laitue, de chicorée et de pourpier auxquelles l’estragon, la pimprenelle et le passe-pierre confit donneront du goût et du caractère. Un fil d’huile d’œillet et du bon vinaigre d’Orléans et, pour la rosace en couleurs, œuvre délicate d’Awa, elle réunit des pétales de capucines, de mauves, de bourrache, de pensées et de campanules.
    – On se damnerait, dit Bourdeau, pour un jardin botanique aussi ragoûtant !
    – Rien ne vaut ce godiveau onctueux et toutes ces saveurs qui parfument cette galantine, s’écria Noblecourt, s’étouffant.
    Le souper se poursuivait gaiement. Nicolas, toujours sous l’impression de sa méditation précédente, tentait d’en fixer les épisodes, les visages et les paroles. Soudain, il se rendit compte que seuls le laisser-aller et l’absence d’ efforcement lui permet
traient un jour de rappeler à lui ces moments précieux. Tenter en conscience de les imprimer sur-le-champ était

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