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L'honneur de Sartine

L'honneur de Sartine

Titel: L'honneur de Sartine Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-François Parot
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c’est-à-dire un bref instant vécu sans passé ni futur, un de ces moments fugitifs qui se reproduisait à chaque rencontre entre Noblecourt et La Borde. De peur qu’il ne se dissipât, il en épuisait tous les agréments dans une plénitude dont il avait déjà éprouvé le déroulement et deviné les risques. Et de cela, un contentement le poignait, une bouffée d’immobilité heureuse. Le temps n’existait plus, ce qui avait eu lieu s’imposait à nouveau avec l’espoir que ce moment, rare, reparaîtrait avec la régularité du parcours des astres. Placé entre deux miroirs qui lui renvoyaient son image, le temps, pour lui, n’était plus rien qu’un moment arrêté. Cependant, en contrecoup, tout ce qu’il croyait et ressentait défilait soudain à une vitesse folle au point qu’il crut en entendre le sifflement. La machine se remettait en marche, le rejetant dans la vie. De même, jadis, les gravures de son enfance l’expulsaient après qu’il s’y fut introduit pour y vivre d’imaginaires aventures.
    Combien de fois encore Noblecourt et La Borde, jusqu’ici immuables, répéteraient leurs joutes, ranimant ces instants de bonheur ? Combien de temps vieilliraient-ils indemnes ? La réponse était impossible, sinon tragique, il le savait. Et de cette impossibilité d’y répondre l’angoisse montait dont rien ne pouvait diminuer le poids. Il revit, au retour des
funérailles, la cape et le chapeau râpé du chanoine Le Floch pendus à un crochet derrière la porte. Ces pauvres vestiges l’avaient ravagé de chagrin. Il respira à longs traits l’air parfumé du soir que le serein ne parvenait pas à rafraîchir. Il fit le vide en lui et l’apaisement revint peu à peu.
    – Voilà qui est réglé, concluait Semacgus. Je garde mes fruitiers et j’annonce le menu. J’observerai tout d’abord que M. de Noblecourt, mon hôte et mon patient, devra se conformer…
    – Point du tout, monsieur, point du tout ! En rien. Je ne me conformerai en rien. M’avez-vous tiré de ma rue Montmartre, obligé à me vêtir en freluquet, à subir comme un jardin chinois la torture de la frisure sur mes derniers cheveux, à me faire enfariner comme un hareng avant friture et à supporter les cahots d’une équipée à Vaugirard pour y entendre des propositions d’innovations condamnables et pour, en plus, devoir me conformer… me conformer… et à quoi d’abord ? À la diète ? À la sauge ? Au bouilli ? Aux herbes ? Ah non !
    L’éclat de rire fut général.
    – Il m’aurait laissé achever qu’il se serait évité cette tirade. Je réponds : se conformer au menu commun, mais, sous la surveillance de ses amis, s’engager à n’en point abuser.
    – Ouf ! dit Noblecourt.
    – Aussi, après une strouille à l’italienne …
    Il expliqua la chose à ceux qui n’étaient pas présents lors de sa préparation.
    – … nous passerons à une terrine de galantine de veau en gelée accompagnée d’une salade d’herbes.
    – Pouah ! Encore des herbes ?
    – Vous trouverez celles-ci particulièrement succulentes. Et pour les douceurs, outre mignardises,
croquets, macarons et croquignoles, je vous réserve une surprise. Pour arroser tout cela…
    Il plongea la main dans un rafraîchissoir pour en sortir un flacon renflé.
    – … du vin de Champagne, le plus léger pour l’estomac et pour l’âme.
    – Voilà un menu qui me complaît tout à fait et pour lequel je n’entends pas me conformer.
    Awa, chantonnant et dansant, fit apparaître le premier plat, tout fumant. Poitevin rajeuni par la gaieté de l’assemblée versait le vin de champagne. Aussitôt le silence s’établit et chacun se concentra sur son assiette, puis les félicitations fusèrent. Noblecourt résuma l’avis général.
    – Voilà un plat de haut goût, raffiné, subtil et léger qui surprend et nous ravit les sens. Nous savons que la cuisine est un art dans lequel Semacgus excelle, mais vous d’où tenez-vous, mon cher La Borde, cette science des jardins ? Je vous sais une sorte de Pic de la Mirandole, mais à ce point !
    – C’est trop d’honneur que vous me faites ! Il se trouve que le libraire Le Rouge a fait paraître, il y quatre ans, le Traité des édifices, meubles, habits, machines et ustensiles des Chinois, ouvrage traduit de l’anglais. Son auteur, William Chambers, aujourd’hui architecte réputé, a voyagé, jeune homme, pour le compte de la Compagnie des Indes orientales. Un

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