L'honneur de Sartine
d’incompréhensibles formules.
– Messieurs, dit Nicolas froidement, voilà un de nos témoins, et non des moindres, qui nous échappe. Premières questions, que fait-il mort dans son lit alors qu’il était censé accompagner la dépouille de son maître ? Cette mort est-elle naturelle ou s’agit-il d’un meurtre ? Depuis combien de temps a-t-il cessé de vivre ? Cette mort est-elle liée aux événements qui se sont déroulés à l’hôtel de Ravillois cette nuit ? Appliquons nos règles habituelles.
Commença alors en silence la traque systématique d’indices qui pourraient permettre de reconstituer les faits survenus et leur chronologie. Nicolas se consacra au cadavre qu’il examina avec soin, en particulier l’oreiller sur lequel la tête était enfoncée au moment de la découverte du corps. Il le renifla à plusieurs reprises. Avant de fermer les yeux du mort, il remarqua l’expression générale du visage, celle d’une surprise terrifiée. Elle lui fit souvenir de celle imprimée sur celui de M. de Chamberlin. La victime paraissait avoir suffoqué, sa face était congestionnée, de petites taches violacées parsemaient son visage. Nicolas réfléchit un moment.
– Il paraît qu’on meurt très souvent étouffé dans cette maison. L’ouverture nous en dira plus, mais je parierais gros pour un acte criminel, même si quelqu’un a tenté de faire accroire une autre version.
Bourdeau et Naganda s’affairaient autour d’un petit secrétaire dont la serrure avait été forcée. L’inspecteur feuilletait une liasse de papiers tandis qu’au sol le chef micmac passait la main sur le parquet puis, se déplaçant à quatre pattes, paraissait suivre les fumées d’un invisible gibier.
– Rien dans ces tiroirs… Des factures. Le meuble ayant été forcé, on aura retiré l’essentiel. Reste que cela renforce l’hypothèse que tu viens de soulever. Il doit bien s’agir d’un assassinat.
– Et d’un cavalier, s’écria Naganda, se relevant.
– Ah ! Voilà qui m’intéresse, dit Nicolas. As-tu trouvé quelque chose qui t’engage dans cette voie ?
– Certes ! Le meuble a été forcé et fort méchamment, car sans doute résistait-il à l’effraction. Le coupable s’est arc-bouté, le corps porté en arrière, pour disposer de plus de force…
Devant le secrétaire, Naganda mimait l’action.
– Et alors ?
– Alors ? Ses talons ont touché le plancher ou plutôt les roulettes des éperons, dont ses bottes devaient être munies. Vois ces piqûres profondes, elles ont égratigné le parquet.
– Compliments ! dit Nicolas, c’est presque un portrait que tu nous dresses là. Une question : ces bottes appartiendraient-elles à l’inconnu qui s’est battu et qui s’est envolé ?
– Mais, objecta Bourdeau, il a pu passer ici après le duel du rez-de-chaussée.
– Je ne crois pas. Aucune trace de sang… Or nous savons qu’il en a perdu en visitant le premier étage. Cela ne concorde pas. En outre il y a beaucoup de poussière ici et à y bien regarder on peut encore discerner la taille de la botte dont nous allons recueillir l’empreinte. Elle ne correspond nullement avec celles des traces du vestibule.
– Voilà un vrai argument !
Nicolas recouvrit le visage de Tiburce d’un drap et parut s’isoler dans une profonde méditation avant de reprendre la parole, l’air déterminé.
– Il est temps de faire le point. Notre plan prévoyait une perquisition secrète cette nuit à l’hôtel de Ravillois. Les occupants sur la route de la Champagne et son portier écarté, l’endroit restait sous la surveillance de Rabouine et de nos gens. Pour une raison inconnue qui reste à déterminer, ils en ont été éloignés, de gré ou de force. À notre arrivée, nous découvrons le cadavre d’un homme des services de Sartine, assassiné ou tué dans un combat à mort. Tout laisse à penser que sa mission consistait à fouiller la maison à la recherche d’un objet ou d’un papier dont nous ignorons la nature et l’importance.
– Tout cela, interrompit Bourdeau, ne laisse pas de nous procurer quelque lumière sur les causes de l’abandon de la surveillance par nos mouches. Si le ministre de la Marine a dépêché ici un de ses sbires sans daigner nous le faire savoir, il a logiquement tout machiné pour écarter Rabouine. L’un ne va pas sans l’autre !
– J’opine dans ton sens sur ce point. Mais poursuivons. Cet homme en mission et sur
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