L'honneur de Sartine
disparaître. Quant à moi….
Il tira de son habit des feuilles de papier dont il avait coutume de se munir. Bourdeau, intrigué, observait son manège. Nicolas ôta ses souliers et se déplaça sur la pointe des pieds sur les emplacements non souillés du travertin. Il le vit se baisser et chercher du regard les empreintes les plus précises et leur appliquer ses feuilles en pressant avec soin pour qu’elles s’impriment au mieux. Il murmurait, comme se parlant à lui-même.
– Aucune erreur possible… Deux hommes… Les traces en témoignent. Un fort soulier clouté et une botte plus petite à semelle lisse. Celle-ci…
Il paraissait suivre une invisible ligne.
– Celle-ci, la plus petite, appartient à l’assassin, ou du moins à celui qui a été le vainqueur de ce combat à mort. Donc deux protagonistes, pas plus. L’un surprend l’autre, ils tirent l’épée. L’un est tué et le vainqueur se retire.
Avec prudence Nicolas longeait le mur. Au pied de l’escalier, il s’accroupit et le nez au sol demeura immobile comme à l’arrêt.
– Une piste ? demanda l’inspecteur.
– Davantage qu’une piste, une constatation.
– Qu’entends-tu par là ?
– Que l’homme sorti sauf du duel ne s’est pas retiré aussitôt, mais… Oui, c’est cela !
– Eh bien ?
– Il a retiré ses bottes, car autrement comment expliquer ces deux empreintes qui se touchent presque, semblables à celles d’un garde-à-vous ? Il a gravi les degrés sur ses bas. Reste qu’éclaboussé sans doute du sang de sa victime…
Il passa son doigt sur l’une des marches.
– Ou d’une blessure reçue, des gouttelettes ont glissé et ont taché les degrés en d’infinies proportions pourtant encore bien visibles.
Naganda réapparut et fut aussitôt informé des premières constatations.
– De fait, dit-il, un homme blessé est bien sorti de l’hôtel. Dans la rue un cavalier a dû quitter les lieux peu de temps avant nous ; il pleuvait déjà. Il tirait une autre monture.
– Pardi ! dit Bourdeau, celle de sa victime. Reste que je ne comprends toujours pas le pourquoi de la disparition de nos gens.
– Nous aviserons. Et en attendant, allons visiter la maison. Naganda demeurera ici en sentinelle. Ou plutôt non, ne nous séparons pas et fermons les issues.
Il alluma un second flambeau et entraîna l’inspecteur dans l’enfilade des pièces du rez-de-chaussée. Rien n’indiquait le passage d’inconnus ; tout était en ordre. Les clés de la porte d’entrée et de celle donnant sur les arrières furent tournées. Ils décidèrent de fouiller le premier étage. Nicolas les conduisit vers la chambre de M. de Chamberlin dont la porte paraissait entrebâillée. Naganda sortit un poignard
et Bourdeau son pistolet tandis que Nicolas, plaqué le long du chambranle, poussait l’huis d’un vigoureux coup de pied. Nulle présence humaine ne se manifesta. En revanche, l’état de l’appartement du défunt les stupéfia. La lumière du flambeau éclairait un champ de ruines. Tout était sens dessus dessous. Les meubles fracassés jonchaient les tapis lacérés. La grande table servant de bureau gisait renversée sur le côté. Plus, le cuir du vieux fauteuil de M. de Chamberlin avait été crevé et son gaufrage laissait échapper la bourre et le crin. La tablette de la cheminée descellée n’était plus que morceaux épars. Le pire, et ce spectacle serra le cœur du commissaire, c’était le ramas de livres aux reliures arrachées qui avaient d’évidence fait l’objet d’une fouille minutieuse. Quant aux éléments du lit à baldaquin, eux aussi avaient subi un examen en règle. Les deux cabinets en bois précieux demeuraient un souvenir qu’évoquaient leurs débris tant il semblait qu’on se fût acharné à les détruire. Dans le cabinet de toilette, la chaise percée avait subi le même sort, son revêtement de velours rouge pendait en lambeaux.
– Je crains, suggéra Bourdeau, qu’il n’y ait plus rien à espérer de cette pièce.
– Pourtant ces ravages confirment éloquemment que l’un des visiteurs de ce soir avait pour mission de retrouver un document. Sa tentative a-t-elle été couronnée de succès ? Je n’en suis pas sûr. En tout cas, cet acharnement sur les livres me suggère certaines hypothèses dont je te reparlerai.
Naganda, agenouillé, considérait ce capharnaüm.
– Je suis sûr que le chasseur en toi tient une piste.
– Tu as raison
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