L'honneur de Sartine
J’ai en effet des choses graves à vous confier. Sachez tout d’abord que mon influence est obscure ou nulle à la cour…
Il ne le croyait pas, mais n’en marqua rien.
– Mon âme est libérée, mais ma parole demeure serve des contingences qui la poursuivent. Tout du monde m’est indifférent et je n’ai de désir que pour l’éternité. Reste que l’adoration de l’Époux divin ne me ferme pas toujours les yeux sur le siècle. Je crains, pour tout vous dire, que le roi, mon neveu, ne soit incité par l’esprit des temps et par ceux qui le conseillent au plus près, à manifester une coupable indulgence touchant les hérétiques.
Elle respirait à petits coups hachés comme si cette pensée l’oppressait, lui était insupportable.
– Je perdrais mon salut à demeurer tiède quand je vois menacée la foi qui est la mienne et mon roi risquer de manquer au serment de son sacre qui lui commande de la protéger. Ne parle-t-on pas de donner carrière aux gens de la religion réformée ? N’avions-nous pas suffisamment de soucis avec les jansénistes ? On va jusqu’à évoquer un édit de tolérance… Je ne saurais l’admettre. Je n’ai point de haine contre les religionnaires ; je ne puis que prier et supplier le Seigneur de les éclairer. Qu’ils reprennent le droit chemin et rentrent sous l’autorité de notre sainte Église.
– J’entends ce que vous dites, mais…
– Je comprends aisément que vous n’y puissiez rien. Cependant, écoutez-moi. Mon éloignement du monde n’empêche pas celui-ci de venir à moi. Le roi est entouré de bons serviteurs et certains d’entre eux sont plus menacés que d’autres. Je sais votre attachement pour M. de Sartine. Vous fûtes du Secret du feu roi, mon père. Il me revient que de dangereuses menaces risquent de le mettre à bas. Il faut l’aider, monsieur ! Tout ce qu’il a accompli pour le service du roi et la sauvegarde du royaume se retourne aujourd’hui contre lui. Les attaques viennent de loin et font le lit de ce Necker, protestant de Genève qui soupe avec l’archevêque ! Tout me laisse à penser que votre dévouement peut aider notre ami. Me promettez-vous de n’y point manquer ?
– C’est une tâche déjà engagée et je vous donne ma parole que je la poursuivrai.
La petite forme semblait frémir.
– Oh ! Seigneur, aidez votre serviteur. Prenez en compte ce monde qui me poursuit sans que je le puisse tout à fait fuir ni m’en détourner.
– Madame, dit Nicolas ému, votre influence et votre conseil pourraient-ils s’exercer sur le ministre afin qu’il baisse sa garde et accepte de s’en remettre à ceux qui ne veulent que son salut de bon serviteur de Sa Majesté ?
– Je m’y efforcerai, monsieur, je m’y efforcerai. Je vous le répète, mon influence ne s’étend guère au-delà des novices de cette sainte maison. Je prendrai des moyens de faire connaître mon conseil à M. de Sartine.
– Puis-je, madame, vous présenter une requête ?
– Monsieur, je suis votre servante.
– J’enquête, depuis quelques jours, sur une affaire dans laquelle je crains qu’on tente de compromettre le ministre. Sa Majesté y tient la main. M’autorisez-vous, madame, à lui faire part du souci qui est le vôtre à ce sujet ?
– Ne l’auriez-vous pas demandé, que j’en aurais été déçue. Cela va de soi et je n’agis jamais hors la volonté du roi, placé là où il est par la volonté de Dieu !
Nicolas pensait que l’entrevue était achevée et que la princesse allait le lui signifier. Trop au fait de l’étiquette de cour, il savait qu’il ne pouvait, de lui-même, rompre la conversation. Même carmélite, et soucieuse de l’être absolument, Madame Louise ne l’eût sans doute pas compris. Cependant, elle paraissait vouloir lui conter autre chose. Elle joignit les mains et, les yeux clos, sembla prendre une inspiration.
– Monsieur le marquis, je suis chargée d’une mission plus particulière, même si le hasard est l’autre nom de la providence…
Elle semblait gênée, cherchant ses mots. Nicolas, interdit, écoutait cet exorde mystérieux.
– Je suis chargée d’une mission, redit-elle, la voix à peine audible. Une de nos sœurs a souhaité qu’on vous remît, comment dire ? qu’on vous transmît deux témoignages de l’intérêt qu’elle porte à votre famille.
– Qui est-elle ? Puis-je le savoir, madame ?
– Je n’ai pas… Je ne puis vous le dire, non plus
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