L'Hôtel Saint-Pol
Vengeance.
Jean sans Peur eût certes frémi s’il avait entendu ces paroles et mis à nu l’âme du sorcier. Gérande regarda Saïtano avec une sorte de curiosité effrayante. Une minute, ils demeurèrent silencieux, pareils à deux démons qui se demandent quel malheur ils vont déchaîner.
Puis Saïtano redevint rapidement l’homme d’apparence paisible qu’il était.
– C’est bon, dit-il. Range-moi ces flacons dans l’armoire.
Elle se mit silencieusement à l’ouvrage.
Déjà Saïtano montait un escalier de bois au haut duquel il ouvrit une porte solidement verrouillée. Il se trouva dans une pièce claire, gaie, ornée de beaux meubles, exacte copie de la chambre que Laurence d’Ambrun avait occupée au logis Passavant.
Une femme assise dans un fauteuil se leva d’un bond, se réfugia dans un angle et s’y blottit. Il eût été difficile d’assigner un âge à cette figure charmante de jeunesse, sous des cheveux blancs, couronne d’argent sur un front demeuré pur.
Elle était belle, mais d’une étrange beauté immobilisée, pétrifiée à quelque lointaine époque.
Impossible d’assurer qu’elle était folle. Mais ses attitudes raidies, ses étonnements furtifs, ses gestes indécis donnaient l’impression d’un être à qui manquait la conscience. D’un être, disons-nous. Mais c’est faux ! Car à quelques minutes d’intervalle, c’étaient des êtres différents qui palpitaient et vivaient en elle.
Saïtano marcha sur elle en disant :
– Pourquoi pleurez-vous, Laurence d’Ambrun ?
Elle le fixa, étonnée, et balbutia :
– Laurence d’Ambrun ?… Mais je suis Jehanne, de la rue Trop-va-qui-dure… cette femme vient de me le dire. C’est la vérité.
Saïtano la toucha au front et exécuta quelques pressions. La terreur se dissipa. Une expression d’espérance empourpra ce visage, comme une aurore empourpre un beau ciel.
– Laurence ! murmura-t-elle. Oui, c’est bien mon nom. Et vous dites que je vais revoir ma Roselys ?
– Bientôt. Je vous l’affirme, Laurence d’Ambrun. Vous allez la revoir bien belle, depuis plus de douze ans qu’elle vous manque, rappelez-vous…
– Douze ans ! soupira-t-elle. Oui, ce sont de longues et cruelles années passées loin de ma fille, dans cette chambre maudite !
– Vous mentez ! dit rudement Saïtano.
En même temps il plaqua la paume de sa main sur la nuque de Laurence et l’y appuya fortement. Elle jeta, deux ou trois cris déchirants. Il poursuivit :
– Vous savez bien que vous mentez ! Vous habitez au logis Passavant. Vous êtes demoiselle d’honneur de la reine. Et vous allez, être mariée… Vous êtes mariée.
Saïtano saisit une coupe vide et la tendit à Laurence en disant :
– Buvez !…
Laurence tomba à genoux. L’épouvante convulsa ses traits. Elle tordit ses bras.
– Prenez garde ! disait Saïtano. Je suis Isabeau de Bavière, et on ne trompe pas une reine ! Vous m’avez promis de disparaître en vous tuant… Tuez-vous ! Buvez le poison !
– Grâce ! râla Laurence. Grâce, Majesté ! Laissez-moi revoir une dernière fois ma fille !
Elle tendait les mains vers les personnages que sa mémoire surexcitée faisait revivre. Ils étaient tous là, Jean sans Peur, Bois-Redon, la reine. Elle les nommait, les appelait. Et ce n’était pas une hallucination. C’était une résurrection. C’était la reconstitution exacte d’une scène passée, réédifiée dans tous ses détails parce que la mémoire était portée à son maximum d’intensité.
Saïtano flamboyait d’orgueil, et murmurait :
– Se rappeler, c’est revivre. Le souvenir vulgaire n’éveille qu’une faible survie des événements morts. Mais le souvenir intense, la mémoire surchauffée ramène l’événement des plans lointains et les fait présents. Et cet être passe par les sensations mêmes où il a déjà passé. J’ai pétri au moyen de quelques élixirs cette matière blanche qui est le siège de la mémoire. Est-ce là aussi le siège de la vie ? Est-ce que vraiment je touche au Grand Œuvre ?
Pensif, le sorcier versa dans la coupe vide le contenu d’un flacon qu’il avait apporté. Il tendit la coupe en répétant : « Buvez ! » Et Laurence, avec la même terreur et les mêmes larmes que jadis, exécuta le même geste… elle vida la coupe.
D’un œil attentif, Saïtano suivait la nouvelle transformation qu’il attendait.
Rapidement, les traits de Laurence
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