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L'Hôtel Saint-Pol

L'Hôtel Saint-Pol

Titel: L'Hôtel Saint-Pol Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Zévaco
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et gronda :
    – Tu sais trop de choses… N’irrite pas ma patience. Que Laurence d’Ambrun soit morte du poison ou d’un coup de dague, je n’y pense plus. Ceci est oublié.
    – Précisez, alors, puisque vous ne voulez pas que je cherche !
    – Je veux oublier une femme. Non une morte, mais une vivante. Elle est entrée dans mon cœur, dans ma pensée, dans mon rêve qui l’associe à toute ma vie.
    – Et vous voulez la chasser de votre vie ?
    – Oui, dit Jean sans Peur farouche. Le peux-tu ?… Peux-tu faire que cette fille n’existe plus pour moi ? Que sa mort et sa vie me soient également indifférentes ? Que je puisse la revoir sans trembler ? Que je puisse m’écarter d’elle sans souhaiter de la revoir l’instant d’après ?
    – Je le puis ! dit Saïtano.
    Jean sans Peur éprouva un coup au cœur. Il avait espéré que le sorcier se déclarerait impuissant. Ainsi, ce que l’homme cherche surtout quand il est mis en demeure de renoncer à une passion, c’est un bon prétexte qui lui permettra de ne pas renoncer.
    Saïtano continua :
    – Vous voulez oublier cette fille parce que vous êtes sûr qu’elle ne vous aimera jamais et que cette certitude vous cause une angoisse qui paralyse votre effort ?
    – Oui, oui ! dit ardemment Jean sans Peur.
    – Il faut préciser en employant les vocables nécessaires. Je dis donc que vous voulez oublier Odette de Champdivers parce qu’elle ne vous aime pas et que cela vous empêche de conquérir le trône.
    Le duc de Bourgogne bondit.
    Si le sorcier avait hésité dans cette seconde, il tombait mort. Jean sans Peur tira sa dague, et, hagard, l’œil en feu, s’avança sur Saïtano. Celui-ci poursuivit d’une voix ferme :
    – Mais pour conquérir le titre de roi, il n’est nul besoin d’oublier Odette de Champdivers. Il suffit de l’obliger à vous aimer.
    L’arme tomba des mains du duc.
    – Oh ! si cela était !…
    – Vous avez entendu que je fais de la mémoire… Et vous n’avez pas entendu que je fais de l’amour ? Ah ! monseigneur, vous passez pour un rude seigneur, mais je vous vois bien faible… Où est votre force ? Je la cherche !
    Jean sans Peur se laissa tomber dans un fauteuil.
    – J’ai dit que je voulais l’oublier. J’étais insensé. J’aime mieux ne jamais être le puissant roi de mes rêves d’autorité. J’aime mieux ne plus être le duc de Bourgogne que l’Europe redoute. Bourgeois, manant, pauvre, humilié, tout ! pourvu que j’aie le droit de l’aimer… pourvu que je puisse espérer qu’un jour elle sera mienne…
    Saïtano rougit au fond de lui-même :
    – Enfin ! Enfin ! Je te tiens ! Tu es à moi ! Tu es où je te voulais ! Enfin, tu aimes ta fille ! Enfin je vais couronner ta carrière ! Meurtrier, adultère, traître à ton amante, traître à ton épouse, traître à ton roi, il te manquait l’inceste pour être digne de l’admiration des hommes… Aime !… Souffre !… Pleure !… Espère !… L’heure approche où tu n’aurais plus de larmes pour assez pleurer, car c’est celle que tu aimes qui va me venger, car c’est ta propre fille qui va broyer ton cœur !
    Il s’approcha de Jean sans Peur et lui mit la main sur l’épaule.
    – Eh ! seigneur duc, si vous aimez cette fille, prenez-la. Faites-en la reine d’amour et de beauté devant qui vous obligerez les peuples à se prosterner. Il faudra, par tous les saints, il faudra bien qu’on l’adore, puisque vous l’aimez. Elle vous aimera si vous êtes fort. Et je suis là, moi, pour faire qu’elle vous aime. Mais, même si elle résiste à l’honneur d’être aimée de Jean de Bourgogne, que diable, faut-il tant de façons pour vous emparer d’une petite fille sans défense ? Je me charge d’endormir le cerbère, le vieux Champdivers. C’est encore la meilleure solution, voyez-vous. Un seigneur tel que vous est un maître. Affirmez que vous êtes le maître, par des actes, non par des paroles. Quand on porte votre nom, quand on a votre richesse et votre puissance, que peut peser le cœur d’une jeune fille ? Que peut être son désespoir même ? Qu’elle crie, qu’elle pleure ? Elle finira par se soumettre. Que voulez-vous ? Quelque philtre d’amour qui l’adoucisse ? C’est cela que vous espériez ? Je veux bien, moi. Mais ce n’est pas digne de Jean sans Peur. Le philtre, monseigneur, c’est le courage qu’en ce moment je verse dans votre faible cœur. Montrez les

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