L'Hôtel Saint-Pol
l’assassin !…
Isabeau tressaillit. D’un effort de volonté, elle se reprit, s’arracha à la rude étreinte, et tout aussitôt sa pensée tortueuse se rejeta dans le drame que lentement, sûrement, elle échafaudait.
– Ce n’est pas fini, dit-elle froidement. Votre femme Marguerite…
Un geste terrible de Jean sans Peur l’arrêta : une condamnation à mort.
– Berry ! murmura-t-elle.
– La hache du bourreau ! gronda-t-il. Je sais qu’il complote contre le roi. C’est suffisant, je pense !
– Le roi ?…
– La maladie le tuera, dit-il. Nous aiderons le mal. J’ai fait venir deux guérisseurs…
– Nous ne pouvons rien contre le roi tant que l’intruse, la guérisseuse, la petite reine est près de lui !…
– Odette de Champdivers ! bégaya Jean sans Peur.
– Il faudrait faire disparaître cette fille. Je vais m’y employer dès aujourd’hui.
Et dans un éclat de rire où se déchaînait sa haine de femme :
– La petite reine !…
– La faire disparaître ? murmura Jean sans Peur.
– Oui, dit Isabeau. L’enlever, par exemple. Une fois en lieu sûr… Mais ne vous inquiétez pas de ceci. Je sais l’homme qui se chargera de cette besogne.
Elle songeait à Hardy de Passavant.
– Je m’en charge ! ajouta Jean sans Peur.
Et en un instant, il édifiait le plan nouveau : enlever Odette, la transporter à l’hôtel de Bourgogne ; là, il serait le maître ; là, Odette de Champdivers serait réduite à l’impuissance.
Et comment Isabeau saurait-elle qu’Odette devenait la maîtresse de Jean sans Peur ? Oui, oui, sa double passion serait ainsi victorieuse : de l’Hôtel de Bourgogne à l’Hôtel Saint-Pol, d’Odette à Isabeau ! L’une lui donnait l’amour pur qu’il rêvait… qu’il croyait rêver… l’autre lui donnait les violences de la passion – et l’empire du monde ! Il répéta :
– Je me charge de faire disparaître cette fille.
– Un fois en lieu sûr, dit Isabeau, nous verrons. Il est impossible de la tuer dans le palais du roi, mais ailleurs, ce même coup de poignard qui tua Laurence d’Ambrun…
Il pâlit. Le spectre !… Le spectre se levait. Il l’écarta d’un geste furieux. Ce n’était pas le moment de s’abandonner à la terreur. Isabeau acheva :
– J’ai l’homme sous la main. Je n’ai qu’un signe à faire. La guérisseuse disparaîtra. Il est nécessaire que ceci soit fait promptement.
– Sous trois jours ! affirma Jean sans Peur. Je m’en charge et veux m’en charger seul.
Il songeait à la promesse de Saïtano : sous trois jours, il verrait Odette soumise, aimante peut-être, et il frissonnait de sa morbide espérance que ravageait le doute.
– Avant trois jours, songea Isabeau, Passavant m’aura débarrassé d’Odette. Allez, reprit-elle. Il ne faut pas qu’on vous soupçonne. Maintenant, il faut défier la tempête d’Armagnac, Allez chez le roi. Soyez le premier à réclamer vengeance contre le meurtrier de Louis d’Orléans… Un mot encore… C’est Ocquetonville qui a porté le coup au duc. Ceci est une terrible faute. Pourquoi avoir employé vos gens ?
– Parce que, dit Jean sans Peur, l’homme sur qui je comptais s’est refusé. Au dernier moment, il était trop tard pour hésiter.
– Qui était cet homme ?
– Celui-là que vous avez rencontré près de Vincennes.
– Le chevalier de Passavant !
Isabeau avait jeté ce nom comme un cri. Son regard agrandi se fixa sur Jean sans Peur.
– Qu’en avez-vous fait ? demanda-t-elle d’une voix morne.
– Rassurez-vous, dit Jean sans Peur, il ne trahira pas mon secret. Il dort maintenant au fond de la Seine. Passavant n’est plus.
Isabeau ressentit au cœur une douleur aiguë. Elle allongea les griffes comme pour se jeter sur Jean sans Peur. Pourquoi ? Que se passait-il en elle ? Cette soudaine nouvelle de la mort de Passavant lui révélait-elle quelque sentiment encore enfoui sous l’amas des sentiments multiples qui se dressaient en elle ? Une sorte de rage, un instant, se déchaîna dans son esprit. Mais elle se contint, et éclata de rire.
– Savez-vous, dit-elle, qui est ce Passavant que vous avez tué ?
– Il nous l’a dit dans la forêt de Vincennes.
– Eh bien, il m’a dit, à moi, la vérité ; c’est cet enfant que vous avez fait enfermer dans la Huidelonne, le même qui vit votre mariage avec Laurence d’Ambrun, le même que le sorcier Saïtano vous amena au
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