L'Hôtel Saint-Pol
trouble… cette attitude… elle qui me fuyait… elle qui avait peur de moi… Oh ! les maléfices de Saïtano agissent déjà… elle m’aime ! Je n’en puis douter, elle m’aime !… »
Déjà, la jeune fille avait dompté cette émotion. Elle jeta à Jean sans Peur un regard tout chargé d’une inconsciente tendresse filiale. Et ce regard acheva d’enivrer l’homme. Avec un soupir, elle se détourna et courut à la duchesse d’Orléans.
Quelques instants plus tard, les deux femmes se donnant le bras, appuyées l’une sur l’autre, sortaient, suivies par le roi. Alors Jean sans Peur réfréna l’effroyable joie qui hurlait en lui. Sa résolution était prise.
Il était sûr de l’amour d’Odette !…
En même temps, disons-nous, il dompta cette joie. La lutte contre le comte d’Armagnac occupa son esprit. Il se tourna vers celui qui n’était encore qu’un adversaire soupçonné, mais dont il fallait à tout prix connaître les pensées.
– Beau cousin, dit-il, j’ai proposé au roi de rechercher et de punir le meurtrier de notre bien aimé cousin Louis d’Orléans. Vous m’avez entendu. Vous avez entendu le roi me dire que je venais trop tard. Et, a-t-il ajouté, c’est vous qui devez m’expliquer ces paroles.
Glacial et sombre, Armagnac répondit :
– Sa Majesté a voulu dire que c’est moi qu’elle a chargé de trouver et de punir l’assassin.
– Vous ! gronda Bourgogne, blanc de fureur.
– Moi ! Et je vous jure que je trouverai l’assassin !
Jean sans Peur jeta autour de lui des yeux hagards. Dans l’accent, dans l’attitude d’Armagnac, il devinait la menace d’un ennemi qui ne pardonnerait pas. Un éclair de folie passa dans sa tête. Il porta la main à sa dague.
Hautain et dédaigneux, Armagnac se croisa les bras, et du bout des lèvres prononça :
– Allons, duc, renfoncez votre lame, ou vous me feriez croire que vous avez l’habitude du meurtre !
Jean sans Peur, par un suprême effort, parvint à se rendre maître de soi, et, d’une voix calme en apparence :
– Excusez ce mouvement de colère, beau cousin. Ce n’est pas que je désapprouve le choix du roi. Mais je pensais avoir des droits. N’en parlons plus. Mais… soupçonnez-vous quelqu’un ? Avez-vous déjà… quelque indice… qui vous fasse découvrir le meurtrier ?…
Le comte d’Armagnac se rapprocha de Jean sans Peur, lui planta son regard droit dans les yeux, et, d’une voix sourde, répondit ce seul mot :
– Peut-être !…
Le duc de Bourgogne vacilla. Le comte d’Armagnac sortit d’un pas lent et se dirigea vers les appartements d’Odette de Champdivers où il trouva la duchesse d’Orléans pleurant dans les bras de la jeune fille.
– Madame, dit-il en s’inclinant, il est bon de pleurer les morts ; mais en cette affreuse occurrence, il y a deux choses auxquelles nous devons songer. La première, c’est la vengeance.
– Oui, dit le roi avec fermeté, il faut venger mon frère, quel que soit le criminel.
– Ce soin me regarde, sire, puisque vous me l’avez confié. Je passe donc à la deuxième de nos préoccupations. Il s’agit de la sécurité de la noble dame d’Orléans.
Valentine leva sur le comte d’Armagnac un regard noyé de toute la douleur d’une épouse fidèle et aimante – assez aimante pour avoir pardonné l’époux volage.
– Rien ne m’est plus, murmura-t-elle. Plus ne m’est rien. Ma vie importe peu. J’aspire à mourir, et bénirai la mort quand elle se présentera.
– Madame, reprit le comte d’Armagnac, votre vie nous est précieuse à tous, et vous n’avez pas le droit d’en disposer. Ni à l’hôtel d’Orléans, ni à l’Hôtel Saint-Pol, même sous la protection du roi, vous ne seriez en sûreté.
Le pauvre roi baissa la tête, saisit la main de Valentine, et murmura :
– Il a raison, ma sœur. Je ne puis me défendre moi-même. Comment vous défendrais-je ?
– La forteresse de Pierrefonds est solide, reprit Armagnac. Elle tiendrait contre une armée. Veuillez, madame, prendre ma main. Vous remonterez dans votre litière et serez escortée jusqu’à Pierrefonds par vos gentilshommes et par les miens. Sous trois jours, je vous y rejoindrai.
Odette se jeta dans les bras de celle qu’elle appelait encore sa marraine. Puis le roi, à son tour, embrassa la duchesse d’Orléans, et, comme elle s’éloignait, donnant la main au comte d’Armagnac, Charles VI cria :
– Dieu vous
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