L'Hôtel Saint-Pol
gardes.
– Oui, quand je perdrai, c’est un écu que je paierai. Quand vous perdrez, ce sera une maille.
La vue du tas d’argent fascina les pauvres diables. Ce ne fut pas de l’ardeur qu’ils mirent au jeu, ce fut de la frénésie.
Bois-Redon riait sous cape. La cruche vide, il en envoya chercher d’autres. Au bout d’une heure, les gardes étaient ivres.
Vers minuit, Bois-Redon, ayant perdu ses écus d’argent, vida sur la table un sac plein d’or, et cria :
– Jouons ! Et buvons, cornes du diable ! Et rions, ventre du pape !
On eût pu prendre d’assaut le palais du roi : Les douze ne se fussent pas dérangés. Ils n’eussent pas entendu le bruit de la bataille… ils ne n’entendaient plus eux-mêmes.
– Allons ! fit tout à coup Bois-Redon vers deux heures dû matin, ce doit être fini.
– Qu’est-ce qui est fini ? bredouilla un ivrogne.
– Fini de rire ! dit Bois-Redon.
Et il fit une rafle générale de l’argent et de l’or qui se trouvaient disséminés sur la table par petits tas devant chaque joueur. Puis, engouffrant le tout dans son escarcelle, il s’en alla, laissant les malheureux étourdis, hébétés du chagrin de voir finir si mal un si beau rêve doré : ils étaient plus pauvres que devant, car non seulement le capitaine avait raflé les pièces qu’il avait apportées, mais encore il emportait la menue monnaie.
Laisser toute cette fortune à ces manants comme le voulait la reine ! songeait-il en ricanant… Allons donc, la reine est trop faible pour les chiens. Mais moi j’ai maté ces drôles.
Telle fut l’agréable farce que le sire de Bois-Redon, cette nuit-là, joua aux braves piquiers du roi qui, tout compte fait, s’en trouvèrent fort honorés.
De tout ceci il résulta que Courteheuse, Guines, Scas et Ocquetonville purent opérer à l’aise et sans crainte d’être interrompus.
La besogne leur avait été mâchée. De plus, aux abords de l’Hôtel Saint-Pol, attendait à un coin de rue une litière munie d’une bonne escorte. Elle était là pour Odette.
Les quatre, donc, se glissèrent dans l’Hôtel Saint-Pol. Arrivés au palais, ils hésitèrent pourtant : ils risquaient de se heurter à quelque ronde qui eût donné l’éveil.
Comme ils se consultaient devant la grand’porte, une ombre se détacha du mur, s’avança jusqu’à eux – quelqu’un qui s’enveloppait dans les plis d’un manteau noir. Et ce quelqu’un leur dit simplement :
– Suivez-moi, je vais vous conduire.
Ils s’inclinèrent, frémissants, et d’un seul geste sortirent leurs dagues, comme si la seule présence de cet être leur eût soufflé les pensées de meurtre.
C’était la reine Isabeau de Bavière.
Elle marcha la première. Le long des grands couloirs, boyaux de ténèbres, ils la suivirent, serrés l’un contre l’autre, les dents serrées, l’œil dilaté. Isabeau, enfin, s’arrêta devant une porte et dit :
– C’est ici. Il faut entrer sans faire de bruit.
Ocquetonville introduisit son poignard dans la fente, et pesa. La lame se cassa tout net. Ocquetonville recula en grondant un juron.
– Silence ! dit la reine.
Avec le poignard brisé, Courteheuse essaya de travailler la serrure. Mais la serrure résista comme avait fait la porte. Courteheuse invectiva furieusement le pape, le diable et les saints.
Alors Guines et Scas appuyèrent leurs épaules au battant. Il y eut un craquement. La porte béa un peu. Courteheuse et Ocquetonville vinrent à la rescousse. Les muscles tendus, les veines des tempes gonflées, les quatre poussaient d’un lent effort continu.
– Qui va là ?… cria une voix rude, venue de l’intérieur.
– Silence ! dit la reine.
Les quatre continuèrent à pousser, sans un mot.
– Que veut-on ? dit la voix. Au large !
Les assassins commencèrent à grogner des insultes. Ils voulaient tuer. La porte, encore, craqua.
– Mort au diable ! gronda la voix, ne vous mettez pas tant en peine, je vais ouvrir !
– Ouvre ! rugirent les assassins.
Fous furieux, ils assénèrent des coups sur la porte. Et Champdivers leur cria :
– J’ouvre. Doucement, mes agneaux ! Dans un instant, vous trouverez que j’ai ouvert trop tôt !
Et brusquement, la porte s’ouvrit. Les quatre, emportés par l’élan, firent irruption dans la salle ; un instant éblouis par la lumière, presque aussitôt, ils virent le vieux Champdivers debout devant une deuxième porte, le poignard à la main
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