L'Hôtel Saint-Pol
arrivons à temps !
– En avant ! fit le chevalier entre les dents.
Ils arrivèrent devant la porte. Sur les instances de Gringonneur, Passavant s’arrêta à quelque distance, et le bohème s’avança seul pour parlementer avec l’arbalétrier posté en sentinelle avancée.
Passavant, bouillant d’impatience, entendit que des paroles étaient échangées à voix basse. Puis il vit venir à lui Gringonneur.
– Nous entrons, n’est-ce pas ? haleta le chevalier.
– Non ! fit Gringonneur d’une voix sourde, le mot de passe vient d’être changé.
– Malédiction !
XXVIII – L’ATTAQUE
Jean sans Peur, dans la journée, avait pris ses précautions. Après son entrevue avec Armagnac, encore tout bouleversé de cet adorable sourire d’affection filiale qu’Odette lui avait adressé, il s’en fut trouver la reine.
– Cette nuit, dit-il, je vous débarrasse de la petite reine.
Isabeau écouta attentivement, approuva le plan et ne soupçonna pas que le duc de Bourgogne agissait dans un personnel intérêt d’amour.
Seulement, elle perfectionna l’attaque sur trois points.
« Il y a, songea-t-elle, trois secours possibles pour l’intrigante. D’abord les gardes que lui a donnés le fou, ensuite le chien, enfin, ce qui peut venir du dehors. »
Quant à Honoré de Champdivers, les estafiers bourguignons s’en chargeaient.
Pour tout secours – imprévu – qui pourrait arriver du dehors, une mesure suffit : elle ordonna qu’à partir de onze heures du soir, le mot de passe fût changé aux portes de l’Hôtel Saint-Pol, de façon que nul ne pût entrer. Exception fut faite pour les quatre spadassins.
En ce qui concerne Major, comme le chien avait l’habitude tous les jours vers le soir d’errer dans les cours, un valet fut chargé de s’en emparer.
Nous avons dit que c’était un chien de grand luxe par sa beauté impeccable. Il était un peu bête, comme tous les êtres de luxe. Il avait un faible pour certaine pâtisserie. Beau, bête, gourmand, c’étaient plus de qualités qu’il n’en fallait.
Le valet, vers six heures du soir, le rencontra rôdant dans la cour des pâtisseries. Il l’invita poliment à entrer dans le bâtiment où trois fours en pleine opération laissaient s’échapper de bonnes odeurs de galettes et de flans. Le chien n’hésita pas, suivit de bonne grâce cet introducteur qui lui semblait animé des meilleures intentions, et tout à coup le brave Major se trouva enfermé en compagnie de pâtisseries diverses dans une étroite pièce d’où ses hurlements ne le purent tirer. Simplement, il y eut une hécatombe de gâteaux.
Restait la salle des gardes. Ce fut l’affaire de Bois-Redon.
– Je vais mater ces chiens-là, songeait-il en balançant ses formidables épaules – comme j’eusse maté le Major, si on me l’eût donné à étrangler. Mais la reine ne voulait pas tuer le chien… Faiblesse de femme trop tendre.
Bois-Redon se trompait. Ce n’est pas par sensibilité que la reine avait épargné Major : Une fois le coup fait, une fois Odette disparue et le cadavre de Champdivers enlevé, le chien ramené dans les appartements de la jeune fille devait par sa seule présence témoigner que rien de tragique ne s’était passé : Odette aurait fui avec son grand-père, voilà tout.
Bois-Redon atteignit sans encombre la salle où douze piquiers étaient de garde pour veiller à la sûreté d’Odette.
– Bonsoir, camarades, dit-il en entrant, je m’ennuie ; je viens donc boire et jouer avec vous. Eh bien, quoi ? qu’avez-vous à me regarder comme des oies qui trouvent un morion sur leur fumier. Je viens boire et jouer, voilà.
Le fait est que les braves piquiers étaient ahuris de l’honneur, et inquiets !
Bois-Redon, c’était le capitaine de la reine. Et c’était aussi un redoutable compagnon.
Les gardes soupçonnèrent quelque traquenard, et que l’invite, si elle était acceptée, aboutirait à une mise au cachot ou à une distribution de coups de pied.
Cependant, lorsqu’ils virent le capitaine s’asseoir à la table et poser devant lui un jeu de cartes avec une poignée d’écus d’argent, ils se rapprochèrent timidement.
Bois-Redon saisit la cruche et emplit les gobelets. On but. Les soldats admirèrent. Leur vanité fut flattée. Et enfin leur enthousiasme éclata lorsque Bois-Redon s’écria :
– Jouons ! Je mets mes écus contre vos mailles !
– Quoi ! s’écria l’un des
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