L'Hôtel Saint-Pol
sourire crispait ses lèvres un peu pâles, et elle dit :
– C’est bien. Vous allez prendre cette fille. Ne lui faites pas de mal.
– Nous avons reçu le même ordre de monseigneur de Bourgogne, dit Guines.
– Oui. Vous la prendrez donc. Seulement, vous ne la conduirez pas à l’hôtel de votre maître.
– Et où devrons-nous l’entraîner ?
– Chez moi ! dit la reine d’un ton qui les fit frissonner.
Elle s’avança, de ce même pas dont marchait sa tigresse. Traversée la salle où était tombé Honoré de Champdivers, traversée la chambre à coucher de dame Margentine, ils franchirent le petit salon intime où tous les soirs Odette jouait aux cartes avec le roi, et enfin, Isabeau s’arrêta devant une dernière porte en répétant :
– C’est là !
Les spadassins avaient rengainé poignards et épées. Ils s’approchèrent.
– Faites vite, dit la reine, enfoncez-moi cette porte.
– Inutile ! dit Courteheuse qui venait de mettre la main sur le loquet.
La porte d’Odette était ouverte !…
Doucement, Isabeau souleva le loquet elle-même. L’instant d’après, Odette lui apparut.
La jeune fille dormait.
Elle était assise dans son grand fauteuil, près de la table, et s’appuyait sur une feuille de parchemin.
Le sommeil l’avait surprise là, sans doute.
Isabeau entra dans la chambre, suivie des quatre estafiers.
Soit à cause du bruit des pas, soit par quelque avertissement des mystérieux agents de vie qui veillent quand nous dormons, Odette de Champdivers ouvrit les yeux. Au même instant, elle fut debout.
La reine s’arrêta à trois pas de la jeune fille.
La première impression d’Odette fut de la terreur. Elle pâlit. Son cœur se mit à battre avec force. Mais presque aussitôt, cette vaillance et cette fierté qui étaient en elle furent les plus fortes. S’inclinant donc avec respect devant cette femme qui était la reine de France :
– Soyez remerciée, madame, dit-elle avec fermeté, de l’insigne honneur que vous daignez me faire. (Un silence. La reine n’eut pas un mot.) Si Votre Majesté, continua doucement Odette, ne m’avait pas témoigné sa volonté de me tenir à l’écart, depuis longtemps déjà je serais venue au palais de la reine.
Un frisson d’orgueil violent secoua Isabeau qui, alors, laissa tomber ces mots :
– Vous ? Chez moi ? Et pourquoi ?
– J’ai tant de choses à vous dire, madame !
– Vous ? répéta Isabeau. Et que pouvez-vous avoir à dire, « vous », à l’épouse du roi Charles, voyons ?
L’intention d’insulte était flagrante. Mais l’insulte même s’émoussa sur cette cuirasse de fierté qui protégeait le cœur de la jeune fille.
– Madame, reprit Odette, c’est du roi que je voulais vous parler. Votre Majesté n’ignore pas comment et pourquoi je suis ici, pourquoi j’y reste, surtout. Il suffit que ma présence apaise les alarmes d’un malheureux prince que tout abandonne pour que j’oublie, moi, les regards mauvais qui m’ont accueillie. Si vous consentiez à m’entendre, madame, vous qui êtes l’épouse du roi, si vous me permettiez de vous dire tout ce que pense mon cœur, peut-être alors la mission qu’il a plu à Dieu de m’imposer près du roi de France se trouverait terminée, car je laisserais derrière moi, pour sauver Charles VI, celle-là même dans les regards de qui je lis en ce moment cette question : que faites-vous à l’Hôtel Saint-Pol ?
– Je crois, dit Isabeau avec un sourire terrible, je crois que cette fille cherche à insulter la reine !
– Non, Majesté ! cria Odette dans une sorte d’explosion. Cette fille se défend, et c’est tout. Cette fille est venue malgré elle à l’Hôtel Saint-Pol. Cette fille éprouve pour le roi une pitié qui a grandi de jour en jour. Cette pitié, madame, est telle que je reste, sachant que je risque plus que la mort : les pensées mauvaises de la reine !
Odette fit un pas en arrière, et il y eut dans son attitude une telle dignité, sur sa physionomie une si rayonnante fierté que la reine, pour la première fois, se sentit au cœur l’effrayante étreinte d’une jalousie vraie. Elle jeta un regard rapide autour d’elle, et domptant ses passions :
– Eh bien, soit, dit-elle, venez chez moi, et vous aurez la liberté de me parler à cœur ouvert.
Odette s’inclina :
– Pour quand Votre Majesté me donne-t-elle l’ordre de me rendre en son logis ?
– Tout de suite ! dit
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