L'Hôtel Saint-Pol
que cette nuit-là, des précautions plus qu’ordinaires avaient été prises, car Gringonneur vit se profiler sur le haut de la muraille l’immobile silhouette d’un archer.
– Holà, cria Gringonneur en approchant, holà, seigneur chevalier, vous allez vous morfondre devant cette porte ! Si, du moins, vous consentiez à jouer aux cartes avec moi ?
Gringonneur s’évertuait à paraître joyeux et à consoler ainsi de son mieux ce jeune homme, qui lui avait inspiré une sympathie mêlée de crainte et d’admiration.
En parlant ainsi, Gringonneur s’assit en effet dans l’herbe, posa près de lui sa lanterne et tira de sa poche un jeu de cartes qu’il étala devant lui.
– Au large ! cria l’archer, d’en haut. Qui est cette lanterne ?
Gringonneur, à l’instant, fut debout.
– Heu ! Ne comprends-tu pas, fils de Mars ? Je cherche un homme pour jouer aux cartes.
Il y eut un instant de silence. On put voir l’archer se pencher, puis le brave fils de Mars et Bellone, d’une voix moins menaçante, reprit :
– Pour jouer aux cartes…
– Sans doute, par la jupe à Juno !
– Où sont-elles, les cartes ?
– Là, mort-diable, qu’as-tu dans les yeux ? La lanterne de Diogénès les éclaire en plein !
– Je vous reconnais, maintenant, dit tout à coup l’archer, vous êtes messire Gringonneur.
Passavant, qui, d’abord, n’avait prêté aucune attention à cette fantastique discussion, écoutait maintenant, les nerfs tendus, la tête en feu. En haut, l’archer se penchait. En bas, la haute silhouette dégingandée de Jacquemin gesticulait.
– « Ita ! » s’écria le peintre. Gringonneur, oui, par Jupiter et saint Antoine ! Peintre des cartes de Sa Majesté !
Gringonneur n’entendit pas le soupir que poussa l’archer. Mais Passavant l’entendit peut-être, car tout à coup il avança d’un pas sur le peintre et lui dit froidement :
– Je suis l’homme que vous cherchez.
– Quoi ? fit Gringonneur interloqué.
Passavant, d’un geste furieux, lui appuya les deux mains sur les épaules et gronda :
– Jouons, par la mort-diable ! Et tout de suite, ou je t’éventre !
Gringonneur se retrouva assis, tout stupéfait, et vit le chevalier qui s’installait devant lui. Entre eux, la lanterne ; près de la lanterne, les cartes.
Ce qui se passait à ce moment dans l’esprit du jeune homme était effrayant. Il ne savait nullement jouer, et abattait les cartes au hasard.
Gringonneur avait là-dessus commencé une observation, mais un regard terrible la lui avait rentrée dans la gorge. À ce moment seulement, Gringonneur commença à comprendre quelle poignante partie jouait le chevalier…
– Si cet archer résiste à la tentation, songeait Passavant, Odette mourra. Ainsi, la vie de celle qui m’a sauvé tient uniquement à l’amour plus ou moins fort qu’un soldat peut éprouver pour le jeu de cartes.
Il souriait. En somme, il découvrait la vie. Il s’étonnait que de si petites causes fussent dans l’existence des éléments d’une formidable importance. Il souriait donc, sceptique et désespéré, et s’apprenait à vivre.
Gringonneur jouait consciencieusement. Dès l’instant où il eut entrevu le but du chevalier, il se mit à parler à tort et à travers, annonçant les cartes, accusant des gains merveilleux, exécutant toute la mimique d’une partie passionnante. Ni l’un ni l’autre ne s’occupaient plus de l’archer, et c’était admirable.
Soudain, Passavant eut un léger tressaillement. Derrière lui, il venait d’entendre le grincement de la porte de fer qui s’entr’ouvrait ! Mais il ne broncha pas…
– Il est venu ! songea-t-il en raidissant ses muscles pour l’action suprême.
Oui, il était venu ! L’archer était là !… Du haut de son poste d’observation, le pauvre diable avait assisté à l’enragée partie que menait Gringonneur. Le supplice de Tantale !
Peu à peu, l’homme s’était redressé, avait longuement inspecté l’intérieur de l’Hôtel Saint-Pol. Pas de ronde. Personne en vue. Alors, tout simplement, il déposa son arme et descendit l’étroit escalier de pierre qui desservait le chemin de ronde près de chaque porte. En un instant, il eut ouvert. Là, il hésita encore. Une joyeuse exclamation de Gringonneur ne parvint pas à le décider.
Passavant, avec son esprit exaspéré, comprit ce qui se passait dans l’âme du soldat. Sans se retourner, tranquillement, il
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