L'Hôtel Saint-Pol
comment vous avez pu entrer ici. Répondez vite.
Passavant fut sincèrement étonné de la question.
– Mais, madame, dit le chevalier avec sa naïveté, vous avez pu voir comme ces messieurs que je suis entré par la fenêtre.
Isabeau se tourna vers Odette.
– Ainsi, dit-elle, il existe un homme qui a le droit d’entrer chez vous nuitamment et qui enfonce les fenêtres quand il trouve les portes fermées ?
Odette pâlit sous l’outrage, mais elle n’eut pas un mot ni un geste. Passavant, plus pâle que la jeune fille, fit deux pas rapides vers la reine, et, d’une voix qui tremblait :
– Majesté, dit-il, vous m’êtes sacrée. Non parce que vous êtes la reine, mais parce que jadis vous avez laissé tomber une larme de pitié sur une pauvre petite fille exposée à l’insulte, parce que vous avez recueilli cette enfant et que, ne pouvant la sauver, vous lui avez du moins fait une mort douce. Quand j’ai appris cela, madame, je vous ai bénie dans mon cœur, et j’ai juré que si vous me demandiez ma vie, je vous la donnerais. Je vous l’ai dit. Je suis prêt à tenir ma promesse. Demandez-moi donc mon sang goutte à goutte, Majesté, vous verrez comment un Passavant paie la dette de son cœur, mais ne me demandez pas d’écouter tranquillement des insultes comme celle que vous venez de proférer.
– Et pourquoi ? fit la reine avec un suprême dédain.
– Parce que je serais forcé de vous tuer, dit simplement Passavant.
Isabeau, quelques instants, baissa la tête. Un soupir gonfla son sein. Et elle songea :
– Elle est aimée, elle !
Ce fut chez la reine une rapide défaillance, une fugitive attaque de bonté, un insaisissable tribut payé à cet amour pur que jamais elle n’avait connu, que jamais elle ne connaîtrait.
– Sire de Passavant, dit-elle d’une voix basse et à demi suppliante, la reine veut vous parler. Voulez-vous, demain, venir en mon palais et m’écouter ?
Cette fois, Odette eut un mouvement. L’angoisse étreignit son cœur. Elle ne savait pas pourquoi. Presque aussitôt, et sans plus se rendre compte de ce qui se passait en elle, sa figure rayonna.
– Pardonnez-moi, répondait Passavant. Je suis tout prêt à écouter la reine et à exécuter ses ordres. Mais puisque c’est ici que j’ai l’honneur d’être reçu en audience par Votre Majesté, c’est ici même que je recevrai ses ordres.
Être reçu en audience ! Le chevalier avait trouvé le mot tout naturellement. Ce n’était pas de l’ironie. Le mot cravacha Isabeau.
– Vous êtes en état de rébellion. Prenez garde ! Je puis vous faire saisir et rejeter dans les fosses de la Huidelonne, dont cette fois vous ne seriez tiré que par l’Ange de la mort. Vous me demandez mes ordres… les voici : vous allez à l’instant même sortir d’ici et aller vous remettre aux mains de mon capitaine des gardes. Demain, je verrai ce que je puis faire de vous. Allez !
– Restez ! dit une voix rauque.
Passavant, Odette, Isabeau, tous trois d’un même mouvement, se tournèrent vers la porte, et là ils virent un homme livide, tremblant, vêtu de noir, immobile.
Le roi Charles VI… le fou !
Isabeau frémit. Le chevalier s’inclina. Le roi s’avança lentement et reprit :
– Seul, je puis ici donner des ordres. Et les voici : Retirez-vous, madame. Retirez-vous en votre palais, et j’oublierai peut-être. J’oublierai que vous êtes venue chez moi escortée de gentilshommes armés. Dans quel but ? Je ne chercherai pas à le savoir. Allez, madame, et croyez-moi. Continuons à vivre loin l’un de l’autre. Je vous ai aimée autrefois. Vous savez ce qu’a été ce bonheur. Les nuits de l’Hôtel Saint-Pol ont vu s’échafauder lentement ma misère. Un roi peut devenir insensé, mais il n’a pas le droit de pleurer. Nul n’a entendu mes sanglots alors que mon cœur battait encore pour vous. Ces nuits sombres, ces nuits féroces, madame, ont étouffé les hurlements du fou qui accompagnaient de loin les musiques de vos fêtes. Nul ne sait que le roi de France pleure son honneur et son bonheur perdus. Mais, de par Notre-Dame, ne touchez pas à ceux qui me sont chers, ou ce sera terrible pour vous ! Chevalier, vous savez maintenant le secret de ma folie. Je le confie à votre honneur. Odette, pardonnez-moi d’avoir une fois devant vous étalé ma misère. Il y a des heures où je souffre trop. Ce que j’ai dit a soulagé mon cœur…
Charles VI respira longuement.
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