L'Hôtel Saint-Pol
ils semblaient tout disposer pour un siège en règle. En attendant l’attaque, les deux portes du logis Passavant étaient gardées. Sous les fenêtres, il y avait des gens apostés. Guines s’était détaché au pas de course. Au bout d’une heure d’attente, Passavant vit qu’un sérieux renfort arrivait aux assaillants. Ils étaient maintenant une cinquantaine dans la rue.
– Je suis pris, dit-il. Et cependant, ajouta-t-il en frémissant, il faut qu’avant huit heures du matin je sois libre. Il le faut !
Une sorte d’accablement s’empara du jeune homme.
Longtemps, il demeura ainsi. À ces heures indécises qui viennent faiblement teinter les vitraux des fenêtres, il s’aperçut tout à coup que le jour allait poindre.
Ayant jeté un coup d’œil par l’une des fenêtres, aux premières clartés confuses de l’aube hivernale, il vit qu’un changement sérieux s’était fait dans le dispositif de l’ennemi.
Le gros des forces assaillantes avait pris position dans la cour. La grande porte était ouverte à double battant. Dans la rue se tenait une arrière-garde qui surveillait les fenêtres.
– Les Bourguignons ont maintenant la défiance des fenêtres, se dit Passavant. Mais aussi, cela m’apprendra à entrer et à sortir par les portes, comme tout le monde. Allons, l’heure est venue d’aller à mon rendez-vous. Si c’est un rendez-vous avec la mort…
Un geste interrompit le discours qu’il se tenait à lui-même.
Puis il dégaina sa longue rapière, assura sa dague dans la main gauche et descendit sans hâte. Il faisait maintenant assez jour pour qu’on pût voir distinctement. Il pouvait être près de sept heures. Passavant ouvrit la porte qui donnait sur la cour et, au même instant, il y eut une violente vocifération de : « Mort au truand !… » Mais nul ne bougea.
Passavant sourit et voulut s’avancer sur le perron et descendre dans la cour.
Dans ce moment, il recula, livide, les cheveux hérissés, frappé d’horreur. En effet, un autre cri venait de s’élever, poussé par les cinquante hommes d’armes qui occupaient la cour. Et c’était horrible. Ces gens, d’une seule voix, hurlèrent :
– Mort au meurtrier de Mgr d’Orléans !…
Dans la rue, des fenêtres s’ouvraient, et Passavant entendit distinctement que des bourgeois effarés se criaient entre eux :
– Il paraît que c’est le truand qui a assassiné le frère du roi !
– Les gens du prévôt vont le saisir…
Passavant sentit la tête lui tourner et ses jambes trembler. Il comprit la féroce invention des quatre spadassins, et qu’on voulait le tuer sous cette formidable accusation. La dague lui tomba de la main. Une sueur glacée inonda son front ; il murmura :
– Ceci est affreux…
À ce moment, un homme de la cour s’avança vers le perron. Passavant lui jeta un regard farouche et reconnut Ocquetonville.
– Sire de Passavant, dit celui-ci à haute voix, votre complice a avoué votre forfait. C’est vous qui avez meurtri notre bon duc Louis d’Orléans, frère de notre sire le roi. Nous devons vous amener au grand Châtelet afin que votre procès y soit instruit. Voulez-vous vous rendre et nous suivre de bonne volonté ? Peut-être vous en sera-t-il tenu compte…
– C’est horrible, bégaya Passavant.
– Pas d’inutile rébellion, reprit Ocquetonville. Nous devons vous prendre vivant. C’est vivant que nous vous remettrons à messire l’Official de Paris. Rendez donc votre épée.
Passavant lui jeta un regard sanglant. Et il vit alors que près d’Ocquetonville, sur le même rang, avaient pris place Guines, Scas et Courteheuse. Tous quatre, l’épée au poing, se tenaient serrés l’un contre l’autre, et derrière eux, il y avait la masse des gens d’armes. Mais tous quatre, devant cet homme qui les regardait du fond de l’ombre de l’antichambre, étaient pâles.
– Rendez-vous ! crièrent-ils ensemble.
Alors, une pensée de folie se dressa dans l’esprit de Passavant. Il se dit : Je vais mourir ici !… Et levant haut sa rapière au-dessus de sa tête, il s’avança sur le perron. Il cria :
– Ocquetonville ! Ocquetonville ! Tu mourras de ma main ! Scas ! Où es-tu ?…
– J’y suis ! dit Scas comme malgré lui, comme il avait répondu à la voix de la nuit funèbre.
– Scas ! Tu mourras de ma main ! Courteheuse, es-tu là ?
– J’y suis ! gronda Courteheuse.
– Courteheuse, tu mourras de ma main !
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