L'Hôtel Saint-Pol
le jour où j’ai attaqué la reine Isabeau près de Vincennes, si, au lieu de me rendre libre, vous m’aviez livré, vous eussiez gagné deux cents nobles d’or.
– Ah ! Ah ! dit Passavant, je vous reconnais maintenant.
– Moi je vous ai reconnu tout de suite, heureusement. Ce logis est, dans Paris, le lieu de rendez-vous où nous venons nous communiquer notre mot d’ordre et où nous déposons nos richesses dans les caves. Je vous y offre l’hospitalité.
– Vous vous trompez, fit froidement le chevalier. C’est moi qui vous donne ici l’hospitalité. Cet hôtel est celui de mon père, Passavant le Brave ; j’y suis né, j’y suis chez moi, je suis le chevalier de Passavant.
L’Écorcheur demeura pensif quelques instants pendant lesquels on entendit les cris venus de la cour.
– Je vous dois la vie et la liberté, reprit-il brusquement. Que puis-je faire pour vous ?
– Ne venez-vous pas de me sauver ? Nous sommes quittes.
– Soit, dit l’Écorcheur. Vie pour vie, nous sommes quittes. Mais l’hospitalité que vous nous donnez depuis si longtemps, même sans le savoir, comment l’acquitterai-je ?
– Nos voies sont différentes, dit doucement le chevalier. Vous ne me devez rien… rien ! reprit-il avec plus de rudesse en voyant un geste de l’Écorcheur. Maintenant, écoutez-moi, j’ai un marché à vous proposer. Voulez-vous m’aider à sortir d’ici, j’entends sans blessures car j’ai besoin de toute ma force ?
– Nous sommes à vous. Ordonnez.
– Non, dit Passavant, qui reprit son sourire. Rien pour rien. Vous avez votre devise, j’ai la mienne. C’est un marché que je vous propose. Consentez-vous ?
L’Écorcheur jeta un regard sur Passavant qui, paisible et froid, attendait la réponse.
– Soit, fit-il encore. Contre notre aide, que me donnerez-vous donc ?
– Vous allez le savoir. Puisque mon logis est devenu votre entrepôt, ayez-moi de l’encre, une plume et une feuille de parchemin.
Sur un signe de Polifer, l’un des Écorcheurs s’élança et, rapide comme l’un de ces démons de la légende qui s’enfoncent dans la terre, disparut dans l’escalier qui conduisait aux caves et par où toute la bande avait fait irruption.
Dehors, le silence s’était fait.
Sans doute les assiégeants se concertaient pour donner l’attaque. Bientôt l’homme reparut ; Passavant s’assit devant une table et, non sans s’y reprendre, car à peine s’il savait écrire, traça quelques lignes, puis tendit le parchemin au chef des Écorcheurs qui le lut. Voici ce qu’avait écrit le chevalier :
« Moi, Hardy, chevalier de Passavant, ce vingt-cinquième jour de novembre de l’an 1407, étant sain de corps et d’esprit, mais sans doute près d’aller retrouver mes aïeux, je déclare donner en toute propriété à Polifer, chef d’Écorcheurs, mon hôtel sis à Paris dans la rue Saint-Martin, afin qu’il en jouisse, lui et ses descendants. En foi de quoi, j’ai signé. » Polifer, ayant déchiffré l’écriture, jeta un long regard sur le chevalier insoucieux, puis il s’inclina, plia le parchemin, le fit disparaître, et dit :
– Je tiens le marché. Que faut-il faire ?
– Il faut, dit Passavant, qu’avant huit heures ce matin je me trouve devant la grand’porte de l’Hôtel Saint-Pol.
– Avant huit heures ?
– Je l’ai dit.
– Écoutez ! fit l’Écorcheur.
Une cloche sonnait au loin. C’était le carillon de Notre-Dame qui se mettait en branle.
– Une, compta Polifer tandis que Passavant pâlissait, deux, trois…
À mesure qu’il comptait, la figure de Passavant devenait plus terrible. Au huitième coup, il saisit sa rapière qu’il avait déposée sur la table, et cria d’une voix déchirante :
– Hardy ! Hardy ! Passavant le Hardy ! Ouvrez cette porte !
Les Écorcheurs se regardèrent, sombres.
– Enfer ! rugit Passavant. Il paraît que vous avez peur, mes drôles !
– En avant ! hurla Polifer.
Violemment, la porte fut ouverte ; à la clameur des Écorcheurs répondit la clameur des soldats assemblés dans la cour. Il y eut la ruée des démons déguenillés, un bondissement furieux du haut du perron, et presque aussitôt la mêlée, dague contre dague ; des flots de sang giclèrent ; des jurons formidables s’entrecroisèrent avec des lamentations stridentes ; il y eut des poitrines trouées, des gorges ouvertes, des crânes défoncés, et dans ce tourbillon d’êtres humains,
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