L'Hôtel Saint-Pol
tête sans répondre. Odette pâlit. Sous le regard aigu de la reine, elle frissonna.
– Oh ! songea Isabeau, je suis perdue si cette fille reste à l’Hôtel Saint-Pol !…
Et lorsque le roi s’éloigna, elle se tourna vers son capitaine, Amaury de Bois-Redon, à qui elle fit signe d’approcher… Ceci était redoutable : On a vu Bois-Redon à l’œuvre !
Déjà, le roi marchait à Jean sans Peur, duc de Bourgogne…
Frémissant, les yeux hagards, les dents serrées, frappé en coup de foudre par une passion furieuse, Jean sans Peur, depuis l’entrée d’Odette, fixait sur elle un ardent regard de feu.
Et lorsque, conduite par le roi, Odette de Champdivers… Roselys !… sa fille !… Odette s’arrêta devant lui, en lui-même il cria :
– Par le ciel ! Il faut que cette fille soit à moi !
En même temps, Jean sans Peur esquissait une de ces salutations brèves et rudes dont il avait le secret. Déjà, le roi passait, et se dirigeait vers le duc de Berry. Celui-ci s’inclina en parfait courtisan. Car si le duc de Bourgogne ressuscitait l’astuce, la force et l’audace de l’un de ces anciens maires du palais qui se saisirent violemment de la couronne, Berry évoquait la froide politique, l’énergie sans gestes, l’élégant scepticisme de quelque Périclès du temps où Athènes était à qui savait la prendre en la caressant.
– Sire, dit-il, je suis bien heureux d’avoir eu, le premier, la pensée de faire venir ici cette noble demoiselle qui guérira Votre Majesté…
Le roi remercia, passa, et Berry, entre ses dents, murmura :
– Oui, elle te guérira… si elle vit ! Et elle vivra… si je n’y mets bon ordre !
Charles VI et Odette s’arrêtèrent devant Louis d’Orléans, frère du roi ; c’était un élégant seigneur, alors âgé de trente-cinq ans. Il aimait le jeu, le vin, les belles, comme dans la chanson. Il ne méritait pas d’avoir près de lui, dans sa vie, un être de haute et sereine beauté d’âme tel que Valentine de Milan. Coureur de rues en masque, aimant à se colleter avec le guet, connaissant toutes les bonnes tavernes de Paris, toujours prodigue, toujours à court d’argent, il ne manquait pourtant ni de cœur, ni d’esprit et il était brave. Il eut un mot qui alla au cœur d’Odette :
– La duchesse d’Orléans est depuis quinze jours à Pierrefonds, dit-il, sans quoi, elle eût ce soir disputé à Votre Majesté l’honneur de donner la main à cette belle demoiselle.
– Et je me fusse laissé vaincre, mon frère, car la duchesse est la seule femme de la Cour à qui je voudrais confier cette noble enfant…
Quant à Odette, elle se garda bien de dire un mot qui pût laisser deviner qu’elle connaissait, aimait et admirait Valentine, « sa belle marraine ». La présentation continua.
Et cependant, depuis quelques moments, trois personnages de cette assemblée, lentement, évoluaient l’un vers l’autre, presque sans le vouloir, magnétiquement attirés par des passions diverses qui se concentraient sur la même tête : Odette de Champdivers. Tandis qu’on admirait l’aisance naturelle, la grâce modeste, et les nobles attitudes de la « petite reine », Jean sans Peur et Berry – deux rivaux, deux ennemis mortels – s’étaient rejoints. Et tous deux, peu à peu, sans se le dire, c’est vers Isabeau de Bavière qu’ils se dirigèrent.
Lorsqu’ils furent ensemble, ils comprirent qu’ils devaient faire trêve à leurs haines. Isabeau, en voyant venir Jean sans Peur, éteignit l’éclat sauvage de ses yeux et sourit…
– Elle a oublié ! songea le duc de Bourgogne.
– Tu y viens ! rugissait Isabeau dans son cœur. Ô ma vengeance ! Tu as attendu pendant des années, mais je crois que ta patience n’en sera que mieux récompensée !
– La reine va être folle de jalousie, se disait Berry. Jean de Bourgogne va être fou d’amour. Il faut que de ces deux passions écrasent la petite Champdivers…
C’était un formidable trio de bêtes féroces.
À ce moment, celle qu’il s’agissait de dévorer traversait la salle dans toute sa longueur pour se retirer. Une double haie profonde se forma pour la regarder encore. Elle passa, sans fierté ni modestie, souriante et si jolie, si vraiment exquise, qu’au moment où elle franchit la porte il y eut un sourd murmure qui se gonfla et presque aussitôt éclata un grand cri de :
– Noël à la petite reine !
À cette explosion
Weitere Kostenlose Bücher