L'Hôtel Saint-Pol
grelotter, l’entraîna rapidement. Mais maintenant elle savait le secret de la Huidelonne. Il y avait là quelqu’un d’enterré, quelqu’un qui voulait revivre et appelait au secours… Elle eut des songes fantastiques, et il lui sembla que des choses, des êtres vus dans une vie antérieure, il y avait bien longtemps de cela, commençaient à s’évoquer dans ses rêves. Parfois, elle se prenait le front à deux mains et songeait : Cette voix, cet appel déchirant du mort qui veut vivre, où l’ai-je entendue ? Quand ? Pourquoi fait-elle tressaillir mon cœur ?
Un matin du mois d’octobre, elle osa, seule, s’aventurer dans les ronces ; elle vit au pied de la tour, devant le trou noir de la porte ouverte, une cariatide énorme, un bas-relief sculpté là, dans son immobilité immuable, elle ne savait quoi de colossal, un être appuyé sur une masse, un couteau à la ceinture, et tout à coup elle vit que le bas-relief esquissait un mouvement, que la cariatide la regardait, cela vivait… c’était le geôlier. Éperdue, sachant à peine ce qu’elle faisait, elle courut à lui, et lui mettant une pièce d’or dans la main, haleta :
– Je veux savoir qui pleure, qui crie, qui se lamente toutes les nuits dans ces souterrains…
– C’est le prisonnier, dit le geôlier, si ébloui de cette apparition qu’il en laissa tomber l’écu brillant.
– Le prisonnier ! fit-elle impérieuse, quel prisonnier ?
– Prisonnier d’État.
– Depuis combien de temps est-il dans cette tombe ? Dites ! Dites vite !…
– Ah !… douze ans… oui, douze ans.
– Le malheureux !… Il a donc vieilli sous ces pierres ! Il est vieux ? Dites !…
– Vieux ? Non pas. Il doit avoir vingt-quatre ou vingt-cinq ans…
Odette s’enfuit, épouvantée. Vingt-cinq ans d’âge ! Et douze ans de cachot ! L’inconnu, « le mort qui voulait revivre » était donc dans cette tombe depuis l’âge de douze ou treize ans !… Prisonnier d’État ! Qu’est-ce qu’un enfant de douze ans avait bien pu faire contre l’État !
Alors son rêve prit une figure. À cet inconnu muré, scellé sous les pierres de la Huidelonne, elle donna un corps, un visage, elle lui parla, et elle l’entendait lui dire : Venez à moi, sauvez-moi, je me meurs !
Il paraît qu’Odette de Champdivers eut alors avec Charles VI des entretiens secrets qui inquiétèrent la Cour. Elle demandait. Quoi ? On ne savait. – Ma couronne, peut-être, disait Isabeau. Le roi, pendant huit jours, refusa. Mais le neuvième, lorsque la nuit fut noire, il s’enveloppa d’un manteau, et escorta Odette jusqu’à la tour. Honoré réveilla le geôlier qui vit avec étonnement ces deux hommes et reconnut avec une confuse admiration religieuse l’apparition d’ange qu’il avait eue devant la porte, un matin. L’homme au manteau tendit au geôlier un parchemin scellé du sceau royal : « Ordre de laisser visiter le prisonnier ».
Il s’inclina. Tous descendirent. Ils s’arrêtèrent devant la porte du cachot. Le geôlier tenait un falot. Honoré de Champdivers alluma une forte cire qu’il avait apportée ; à tout hasard, il avait sa dague à la main. Le roi était sombre.
– Écoutez ! Écoutez ! murmura Odette. Ah ! cette plainte funèbre me déchire le cœur. Écoutez ! Oh ! écoutez la prière et les sanglots de celui qui meurt là !… Ouvrez ! Ouvre, geôlier, ouvre, je le veux !…
Le geôlier obéit. La porte fut ouverte. Et Odette frissonnante, bouleversée de pitié, vit ce jeune homme à genoux sur les dalles, les mains levées vers elle, les yeux hagards. Champdivers gronda un juron. Le roi tressaillit. Le geôlier, immobile et muet, assistait à cette scène sans la comprendre. Odette se pencha sur le prisonnier et, d’une voix faible, prononça les paroles d’espoir et de vie qui jaillissaient de son cœur.
Le prisonnier s’était relevé. Avec une douloureuse stupeur, il regardait ces gens descendus dans son enfer, mais ses yeux s’attachèrent sur Odette, il parut vouloir parler, et sans doute il ne trouva pas la parole qu’il fallait dire, car d’un geste lent, doux et ardent, il serra avec force ses mains amaigries, il les joignit en une prière muette plus terrible que ses sanglots de tout à l’heure…
Odette se tourna vers Charles VI.
– Il faut le délivrer, dit-elle.
– Impossible, mon enfant. Un prisonnier d’État !… Il y a le conseil. Que suis-je ?… Si
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