L'Hôtel Saint-Pol
femmes, le tiers à mes aumônes personnelles, et il faudra bien qu’avec le dernier tiers nous vivions à l’aise.
Le trésorier est sorti. Aussitôt, il est remplacé par trois bourgeois de mine inquiète et jaune, serrant de grands écrins sous leurs bras. Ils plient le genou, puis, se relevant, ouvrent leurs écrins.
Ce sont les joailliers de Sa Majesté, tous trois établis sur le pont Notre-Dame.
– Oh ! les jolies choses ! s’écrie Odette en battant des mains. Comme tout cela brille, étincelle ! Jésus, est-ce là des pierres du soleil, ou bien est-ce des étoiles prises au ciel ?
– Ce sont joyaux pour vos mains, vos bras et votre col, dit le roi qui exulte. Ce sont parures qu’il faut que vous mettiez, car telle est la mode en notre cour… depuis que nous avons épousé M me Isabeau, ajouta-t-il en s’assombrissant.
Mais la joie naïve d’Odette a vite fait de le dérider.
– Il faut donc choisir, dit-elle, choisir parmi ces belles choses ? Jamais je ne saurai…
– Vous n’avez pas à choisir, Odette : tout est à vous.
Et le roi frotte ses mains pâles et maigres. Les joailliers remettent les bijoux dans les écrins qu’ils laissent ouverts sur la table, et se retirent à reculons, tout courbés. Soudain la jeune fille s’attriste, une larme vient perler à ses paupières, plus brillante et plus pure que ces diamants qu’on vient de lui donner.
– Odette ! Odette ! Qu’avez-vous ?…
– Ah ! cher sire, je songe que ces pierres blanches ressemblent bien aux pleurs qu’il a fallu verser pour tant d’argent qu’elles représentent, et que ces rubis rouges sont tout pareils à des gouttes de sang…
Le roi, un instant, demeure pensif. Il soupire. Il se trouble. Et enfin il murmure :
– C’est étrange, Odette. Vous me dites ce que disaient mes Marmousets {10} avant qu’on ne les eût chassés. Patience. Ils reviendront peut-être ! En attendant, prenez, prenez sans crainte, et pour me rendre heureux.
Elle courut au roi et, ignorante de toute étiquette, lui tendit les deux mains.
– Vous êtes ma fille bien aimée, murmura le roi Charles VI. Jamais je ne ferai assez pour vous. Lors même que je m’appauvrirais pour vous enrichir, je serais encore votre débiteur. Ne vous étonnez pas, mon enfant. Vous n’avez pas vu ce palais avant votre venue : il était vide, c’était le logis d’un pestiféré. Et le roi, Odette, vous ne l’avez pas vu tel qu’il était : pauvre être honteux qui ne trouvait pas de coins assez sombres pour y cacher sa misère, que les valets dédaignaient de saluer quand d’aventure il se hasardait au plein jour au lieu de confier à la nuit ses terreurs comme il en avait l’habitude, dans les cours désertes. Aujourd’hui le roi est réveillé. Le roi est roi ! Dans son palais accourent les courtisans. Tout vibre. Tout respire. Tout est joie autour de moi. Cette résurrection, je vous la dois. Qui êtes-vous ? Qu’êtes-vous ? Je l’ignore. Ce que je sais seulement, c’est que voici le neuvième jour que je vous ai rencontrée, ange de Dieu. Et depuis, plus de guérisseurs autour de moi pour m’épouvanter de leurs prédictions sinistres. Plus de moines cherchant en vain à m’exorciser. Des jours heureux, des nuits paisibles, un sommeil que rien ne trouble. Jamais, depuis quinze longues, quinze effroyables années, je n’ai eu un repos aussi durable, aussi sûr. Et qu’a-t-il fallu pour cela ? Un regard de vos yeux, un peu de la pitié de votre cœur… Odette, quoi que l’avenir nous réserve à tous deux, pour ces quelques jours de bonheur, de toute mon âme, je vous bénis…
Ce fut le soir de ce même jour qu’Odette fut présentée à la Cour.
Dans l’immense galerie des Preux, qui était en quelque sorte la salle d’honneur du palais du roi, vers neuf heures du soir, attendait la foule bariolée des courtisans.
– Le roi ! cria tout à coup un huissier. Place au roi !…
Charles VI entra, donnant la main à Odette de Champdivers. Un silence effrayant s’abattit sur l’immense foule. Tous les yeux se fixèrent sur la nouvelle venue. Puis un long murmure s’éleva. C’était l’admiration qui parlait.
Pâle, glaciale, Isabeau vit venir à elle celle que déjà, sans la connaître, elle appelait la rivale. Odette de Champdivers s’inclina en une gracieuse révérence. Le roi prononça :
– Aimez-la, madame, pour l’amour de moi.
Tout le monde vit que la reine détournait la
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