L'Hôtel Saint-Pol
mille archers.
– Je suis perdu d’honneur ! cria ce brave.
Il entra dans la cour et, un instant plus tard, on entendit des gémissements. Des soldats pénétrèrent aussitôt dans la salle basse et virent le capitaine qui expirait : il s’était poignardé…
Dans la grande galerie du palais du roi, ce n’était que tumulte et confusion. Le recteur lisait de sa voix nasillarde un fort beau discours sur les misères du peuple et la magnanimité royale. Mais personne n’écoutait. Le roi, sombre et fatal, tout noir sur son trône, tremblait convulsivement. Le duc d’Orléans, pâle comme la mort, prêtait l’oreille aux bruits du dehors. Il voulut sortir, mais il se heurta à une barrière de Bourguignons qui lui dirent : « On ne passe pas !… » Ardent, les yeux sanglants, Jean sans Peur, frémissant d’impatience, attendait. Enfin, Ocquetonville entra dans la salle, courut à lui et lui dit quelques mots à voix basse… L’Hôtel Saint-Pol était occupé ! Tous les postes gardés ! La garnison, trahissant peut-être, se rendait sans coup férir.
– Enfin ! gronda Jean sans Peur.
– Je suis perdu ! dit tout haut Orléans.
Jean sans Peur se mit en marche… il s’avança vers le roi qui le vit venir comme le spectre de sa déchéance. Déjà le duc de Bourgogne levait la main…
À ce moment une porte placée derrière le trône s’ouvrit… Une jeune fille parut…
C’était Odette de Champdivers !
Vers le moment où s’ouvrait le conseil, Odette était dans son appartement privé lorsqu’elle avait vu tout à coup entrer un homme dont l’aspect la fit frissonner. Ses yeux étrangement lumineux lui causaient un insupportable malaise. Son sourire la glaçait. Il était maigre. Il s’avançait, courbé, en un glissement sinueux et silencieux, ouvrant et ramenant son manteau en salutations ironiques.
C’était l’homme qui avait remis à la reine une composition destinée à ramener Charles VI à l’état de démence. C’était l’homme de la Cité. C’était Saïtano…
Comment était-il entré à l’Hôtel Saint-Pol ? Et surtout, comment avait-il trompé la vigilance du brave Honoré de Champdivers ? Peut-être connaissait-il les tours, détours et portes secrètes du palais ?…
– Qui êtes-vous, monsieur ? demanda Odette.
– Un ami du roi ! répondit Saïtano.
Il eut un rire aigre et strident. Puis aussitôt, il ajouta :
– Pour être plus vrai, je suis un ennemi de l’ennemi du roi.
– Que voulez-vous ? reprit Odette.
– Je viens pour sauver le roi, ou plutôt je viens vous montrer comment vous devez le sauver. Ou mieux, je viens vous montrer comment vous devez empêcher le triomphe de l’ennemi du roi, qui est mon ennemi, à moi.
Odette, au même instant, reprit toute sa tranquillité d’âme. Elle ne songea plus qu’à ce roi que tant d’autres, peut-être, avaient sujet de haïr, mais qu’elle s’était mise, elle, à aimer d’une filiale affection.
– Vous avez un ennemi ? dit-elle en se rapprochant de Saïtano.
– L’ennemi du roi, dit-il.
– Que vous a-t-il fait, à vous ?
Saïtano eut ce même rire strident que tout à l’heure. Il considéra un instant Odette, puis :
– « À vous », je puis le dire. Oui. Quand j’y pense, il est juste que je vous dise cela, « à vous ». Je hais cet homme, écoutez… c’est la première fois depuis douze ans que je dis cela à haute voix… je le hais parce qu’il m’a appelé drôle, et que je ne suis pas un drôle, moi ; je suis la science. Je le hais parce qu’il m’a traité comme le plus vil des laquais, le plus misérable des manants à qui l’on peut tout faire.
– Que vous a-t-il fait ? répéta Odette frissonnante.
– Il m’a souffleté, dit Saïtano avec un calme terrible. Presque aussitôt, il grinça des dents et poussa un soupir.
Il continua :
– Écoutez. Vous aimez le roi, n’est-ce pas ?
– Il a été bon, généreux pour moi. Il a sauvé… mais, se reprit-elle avec un soupir, je ne dois pas parler de ceci. Oui, j’aime le roi Charles. Il est tout disposé au bien. C’est moi qui lui ai conseillé de tâcher au plus tôt de remédier à la misère du peuple.
– Je m’en doutais, fit Saïtano.
– Vous me connaissez donc ? dit Odette étonnée.
– Depuis longtemps… très longtemps… Vous aussi je vous suis pas à pas dans la vie, car un jour, je puis avoir besoin de vous. Mais nous verrons cela plus
Weitere Kostenlose Bücher