L'Hôtel Saint-Pol
tard…
Odette tressaillit.
– Allons, jeune fille, n’ayez pas peur et ne vous fâchez pas. Et continuons. Si vous aimez le roi, vous devez haïr celui qui veut tuer le roi.
Odette de Champdivers pâlit. Elle sentait que cet homme disait la vérité, que quelque danger mortel menaçait le roi…
– Je ne hais personne, dit-elle. Mais celui que vous dites, je sens que je le haïrai s’il veut faire du mal à celui qui non seulement m’a traitée comme sa fille, mais encore a délivré…
Elle s’arrêta encore. Une ardente rougeur monta à ses joues.
– Délivré qui ? fit vivement Saïtano. Voici la deuxième fois que vous dites…
– N’en parlons pas ! interrompit Odette d’un ton sans réplique. Dites-moi seulement le nom de l’homme qui est l’ennemi du roi…
– Qui veut le tuer, vous ai-je dit ! Qui va le tuer ! Qui est en train de le tuer ! C’est le duc Jean de Bourgogne, qu’on appelle Jean sans Peur. En ce moment, le roi et ses conseillers sont rassemblés dans la grande galerie, n’est-ce pas ? Le roi, le duc d’Orléans, les gentilshommes les plus fidèles de Charles sont là, n’est-ce pas ? Eh bien ! tout cela va être pris dans le même coup de filet. Dans une heure peut-être, le roi de France ne s’appellera plus Charles sixième. Vous doutez ? Vous vous dites que l’Hôtel Saint-Pol est bien défendu ? Que le roi a autour de lui des gens dévoués, sinon à sa personne, du moins à sa race et au principe qu’il représente ? Eh bien ! venez et regardez !
Avant qu’Odette eût pu faire un mouvement de retraite, il la saisit par la main. Odette poussa un léger cri : elle venait de ressentir à la paume une petite, toute petite souffrance, comme une piqûre. Mais déjà Saïtano l’entraînait à une fenêtre d’où se découvrait l’entrée principale de l’Hôtel Saint-Pol. Là, un gros de cavaliers était massé, maître de la porte qu’il gardait.
– Que voyez-vous ? dit Saïtano.
– La bannière de Bourgogne ! murmura Odette. Oh ! c’est donc vrai ?
– Venez, venez ! reprit Saïtano, – et il l’entraîna à une autre fenêtre qui donnait sur la grande cour d’honneur. – Que voyez-vous ?
– Oh ! des milliers d’hommes portant la croix de Saint-André !… Et là !… Les archers du roi désarmés, gardés à vue !… Oh ! courons, monsieur, monsieur… je devine en vous une puissance que je n’explique pas et qui peut-être vient de l’enfer. Au nom du Dieu vivant, je vous somme de mettre cette puissance au service du roi !
Saïtano éclata de rire, et dit :
– Vous seule pouvez le sauver !
– Comment ? Dites ? Comment ?…
– Êtes-vous prête ?
– À tout !
– Eh bien, dit Saïtano, vous entrerez dans la salle du conseil. Vous ne regarderez personne, vous m’entendez ? Vous marcherez droit sur le duc de Bourgogne, vous lui sourirez…
– Je lui sourirai ! Moi ! À ce traître !
Saïtano écouta avidement ce cri d’Odette de Champdivers, et sourit :
– Il le faut, pour sauver le roi. Vous lui sourirez donc, et vous lui direz ce que pense votre cœur, c’est-à-dire simplement ceci : « Quiconque attente au roi ne sera jamais aimé de moi… »
Odette était l’innocence même. Mais elle comprit très bien ce qu’il y avait de louche, de tortueux, dans ces paroles en apparence très simples, et qu’elles semblaient une sorte d’engagement d’aimer celui qui n’attenterait pas au roi… Elle se sentit rougir de honte, et porta les deux mains à son cœur comme pour en comprimer les battements…
– Dans quelques minutes, dit Saïtano, Jean sans Peur fera entrer ses gentilshommes dans la salle du conseil. Et alors, c’est un tout autre conseil qui se tiendra. On décidera que le duc d’Orléans a pillé le trésor et on le mettra à mort. On décidera que les seigneurs fidèles à Charles sont félons et on les mettra à mort. On décidera que le royaume ne peut être laissé aux mains d’un fou, et Charles sera conduit dans quelque monastère où on lui coupera les cheveux – à moins qu’on ne le mette à mort lui aussi !
– Mon Dieu, mon Dieu, murmura Odette affolée, tout cela est-il possible ?
– Que fit donc Pépin d’Héristal ? ricana Saïtano. Songez-y. Charles est plus qu’un roi fainéant, c’est un roi fou. Jean de Bourgogne rêve de fonder une dynastie !
– Eh bien ! Allons ! Conduisez-moi !…
Et Saïtano, en effet,
Weitere Kostenlose Bücher