L'Hôtel Saint-Pol
mot : les bourgeois ne furent pas dupes de cette soudaine affection. Mais vraiment la misère était grande, les impôts insupportables ; tout semblait bon qui pouvait adoucir l’une en allégeant les autres. Intelligente, fine, brave, capable de bien mourir, cette bourgeoisie à qui, alors, le cri de liberté ne faisait pas peur, accepta l’aide du duc de Bourgogne, haï pour son orgueil, redouté pour sa force, dans l’espoir de renverser Louis d’Orléans.
Le frère du roi n’était ni détesté, ni méprisé, ni craint. Mais on lui voyait jeter l’argent à pleines mains, et il endossait toutes les colères. De plus, régent du royaume, le roi ne comptant pas et le duc de Berry se tenant habilement dans les coulisses de la scène monarchique, le duc d’Orléans était la représentation vivante de ce principe d’autorité infiniment plus contesté qu’on ne pourrait le croire, et alors violemment battu en brèche par cette courageuse et forte bourgeoisie qui depuis… mais revenons à notre histoire.
En un seul jour, donc, fut établie la popularité de Jean sans Peur.
Les mariniers de la Seine, les bouchers, les tailleurs de pierre et d’autres corporations envoyèrent des délégations à l’hôtel de Bourgogne et assurèrent le duc que le peuple était prêt à tendre les chaînes, à transformer chaque rue en forteresse qu’il faudrait prendre d’assaut.
Jean sans Peur fut épouvanté. Il put mesurer la profondeur de cet abîme de haine qui s’était creusé entre la noblesse et le peuple. Sans doute, il savait quels prodiges avaient accomplis les Jacques, les Tuchins, les Maillotins. Mais en écoutant Jean Caboche, le chef de cette délégation, il se demanda déjà comment il pourrait faire rentrer en leurs gîtes ces loups qu’il déchaînait…
Mais sa haine contre le duc d’Orléans fut plus forte que ses terreurs secrètes. Jean sans Peur serra des mains populaires, choqua son gobelet contre celui de Caboche, promit, jura tout ce qu’on voulut, mais exigea de garder la direction effective de la révolte qui se dessinait avec une si étonnante rapidité. La délégation se retira en promettant de ne rien entreprendre que sur l’expresse indication du duc, reconnu chef du parti populaire.
Le lendemain, nouvelle promenade des cinq cents cavaliers, nouvelles acclamations. Cette fois, Jean sans Peur ne revêtit pas son armure. Il parut vêtu d’isambrun (drap fin) sous un manteau de pers (drap bleu).
Sur les trois heures du soir, arrivèrent les six mille hommes d’armes de Courteheuse et de Guines. Ils furent logés chez les bourgeois, tout autour de l’Hôtel Saint-Pol et principalement dans la rue Saint-Antoine. Il n’y eut pas de maison qui ne tînt à l’honneur d’héberger et festoyer quelques-uns de ces soudards qui ne comprirent rien à l’enthousiasme dont ils étaient l’objet.
Or, cet enthousiasme des Parisiens était à son comble, lorsque, vers le soir, une nouvelle courut dans les foules avec une inconcevable rapidité de transmission.
La nouvelle atteignit bientôt le duc.
Elle lui inspira une sorte d’épouvante.
La reine avait pris la fuite.
La reine s’était réfugiée au château de Beauté, sur la Marne, et se tenait prête à gagner de là la frontière d’Allemagne !
Le plan de Jean sans Peur vacillait sur sa base, puisque c’est sur la reine qu’il bâtissait son avenir de puissance, puisque c’est pour montrer sa force à la reine qu’il soulevait Paris – plus vite, d’ailleurs, qu’il n’eût voulu. La reine partie, que lui restait-il ? Il devenait chef de parti, chef de rebelles, et il n’avait plus pour lui que les chances trompeuses d’une guerre civile.
Quant au duc de Berry, fidèle à son système de louvoyer, il s’était tout simplement retranché dans son château de Wincestre, appellation que l’euphonie populaire a transformée en Bicêtre.
Il faut bien ici que nous rappelions au lecteur que tous ces personnages étaient parents, – parents intimes ! Le duc d’Orléans était frère du roi. Le duc de Berry était oncle paternel du roi et de Louis d’Orléans. Jean sans Peur, petit-fils du roi Jean le Bon, était cousin germain de Charles VI et de Louis.
Quelle famille !… Quel sang !… Des haines dévorantes, des guerres furieuses de frères ennemis, des délires d’ambition armaient les uns contre les autres tous ces membres de la postérité de Jean le Bon !
Louis d’Orléans, stupéfait de
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