L'Hôtel Saint-Pol
Ensuite de quoi, le régent lui fit faire des funérailles magnifiques et accorda une pension à sa veuve parce qu’en se tuant, il avait donné la preuve de son désespoir et de sa fidélité.
Le duc d’Orléans s’occupa naturellement de savoir où était la reine, car les bruits les plus sinistres couraient non seulement dans l’Hôtel Saint-Pol, mais dans tout Paris. Sa première idée fut de visiter lui-même le palais de la reine. Mais il trouva les portes gardées, et, à toutes ses questions, à toutes ses injonctions, le capitaine de Bois-Redon se contenta de répondre :
– J’ai l’ordre de garder les portes jusqu’au retour de Sa Majesté. Faites-moi pendre, monseigneur, car moi vivant personne n’entrera.
– Pas même le frère du roi ? s’écria le duc d’Orléans.
– Pas même le roi ! répondit Bois-Redon.
Une tentative pareille faite au château de Beauté échoua de même. Il fut impossible de pénétrer dans le château, ou d’obtenir le moindre renseignement. Un moment, on put croire qu’Isabeau s’était réfugiée à Wincestre, où le duc de Berry s’était retranché. Mais dès que l’orage qui avait menacé l’Hôtel Saint-Pol se fut dissipé, dès que Paris eut repris sa tranquillité – en apparence tout au moins – le duc de Berry rentra, assura qu’il n’avait pas eu l’honneur d’héberger Sa Majesté ; puis, comme la santé du roi semblait péricliter de jour en jour, le duc de Berry ne s’occupa plus que d’intriguer et de se composer une cour de solides gentilshommes afin d’être prêt à tout événement.
Arrivons au 15 novembre, et entrons dans ce palais de la reine si bien gardé que nul – pas même le roi ! – n’y pouvait pénétrer.
C’est le soir. Le palais est muet. Il est désert. Le service des filles d’honneur a été suspendu. Les salles d’armes seules sont occupées par les gardes. Muette et déserte la galerie à double colonnade.
Franchissons la salle de Théseus et celle de Mathebrune. Laissant au fond la porte de la chambre à coucher, ouvrons cette autre porte à gauche, et nous voici dans une large pièce bien éclairée par la lumière des cires. Une table, dans un coin, deux fauteuils, un dressoir qui supporte des pâtisseries et des friandises, et une sorte de divan, c’est tout l’ameublement de cette pièce. Ce que nous appelons un divan n’est autre chose qu’un amas de magnifiques peaux de fauves, lions et tigres, superposées dans un vaste cadre de bois lisse.
Sur ce divan, Isabeau de Bavière, à demi couchée, la tête sur un de ses bras replié.
Elle laisse pendre son autre main et s’amuse à taquiner sa tigresse Impéria, allongée sur les tapis.
Puis la reine tombe dans une méditation farouche. Ce sont d’effrayantes pensées qui doivent alors évoluer dans cette adorable tête, car de ses paupières à demi fermées, c’est un regard d’acier qui jaillit, mince et dur. Et alors, elle murmure :
– Orléans ?… Berry ?… Bourgogne ?… Lequel doit tomber le premier ?…
Et elle répète, comme du fond d’un songe mortel :
– Orléans ?… Berry ?… Bourgogne ?… Tous trois, je les veux morts. Tous trois me gênent. J’ai cru un moment que ce Jean sans Peur était un homme… Folle que j’ai été !… Est-ce qu’il y a des hommes capables de comprendre et d’oser ?… Pauvre race !… Oh ! si j’en trouvais un ! un seul !… que ne ferais-je pas de lui ! Un seul homme vraiment sans peur, vraiment digne d’être aimé de moi ! Si je savais que cet homme existe, j’irais le chercher, le trouver aussi loin qu’il fût, et je lui dirais… mais non ! Seule ! Je dois être seule… Et puisque ces trois me gênent, supprimons-les. Le moyen ? C’est de les jeter l’un sur l’autre… Bourgogne va venir… Viendra-t-il ?…
Elle écouta un moment, caressa la tigresse d’une main distraite et reprit :
– Je jetterai Bourgogne sur Berry, ou sur Orléans. Puis je ferai se dévorer les deux survivants. Mais par lequel dois-je commencer ?
Ici, Impéria se roula sur le tapis et poussa un long bâillement. Isabeau se redressa, la contempla, demeura une minute pensive, puis éclatant de rire :
– L’idée me plaît ! Orléans ? Berry ? Bourgogne ? C’est toi qui choisiras, ma belle !…
Isabeau courut au dressoir et choisit trois pâtisseries qu’elle déposa sur le tapis en disant :
– Attention : voici monseigneur de Bourgogne ; voici
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