L'Hôtel Saint-Pol
attendant que cette fortune dont vous aviez la gracieuseté de me parler, madame, vienne m’y prendre par la main et me conduire à quelque demeure plus digne d’abriter l’héritier des Passavant.
– Par Notre-Dame, voilà qui est bien dit, s’écria Jean sans Peur. Dites-moi donc quelle est cette auberge où vous comptez prendre gîte, et vous aurez de mes nouvelles !
– C’est l’auberge de la « Truie Pendue », sise dans la rue Saint-Martin.
Pour la troisième fois, la princesse et le duc de Bourgogne se regardèrent en tressaillant. L’auberge de la « Truie Pendue » était située juste en face du logis Passavant. Mais, comme s’il eût deviné la vague inquiétude qui naissait chez eux, le chevalier ajouta :
– Je me suis d’autant mieux décidé pour cette auberge, outre ses qualités hospitalières, qu’on m’a assuré qu’elle se trouve à proximité de l’hôtel Passavant jadis habité par l’illustre chevalier dont vous me parliez. En me logeant près de la demeure qui a contenu tant de bravoure et de loyauté, je me figure que l’ombre de Passavant le Brave protégera mes efforts. Or, monseigneur, c’est déjà quelque chose que d’être protégé par une ombre !
– C’est bien, jeune homme, dit Jean sans Peur. Mais moi, c’est une autre protection que je vous offrirai. Par le temps qui court, les ombres sont peu redoutables…
– Qui sait ? murmura le chevalier, mais si bas que nul ne l’entendit.
Alors, la dame de la litière fit un signe.
L’escadron des Bourguignons se disposa en ordre de route. Jean sans Peur fit au chevalier un dernier geste plein de promesses et se plaça près de la litière.
– En avant ! cria-t-il.
– Monsieur, dit la princesse au moment où le véhicule allait s’ébranler, je veux vous remercier comme vous le méritez. Venez donc me trouver en mon logis dès demain à dix heures du soir.
– Qui aurai-je l’honneur de demander ? fit le chevalier ébloui.
– Vous direz votre nom aux gens de la porte et on vous conduira à moi.
– Et où devrai-je me rendre ?
– À l’Hôtel Saint-Pol…
Et la litière se mit en route. Le chevalier de Passavant demeurait sur place, pétrifié, écrasé par ce nom qu’on venait de lui jeter ! l’Hôtel Saint-Pol ! Un tressaillement l’avait agité de la tête aux pieds. Et il avait senti se glisser le long de son échine ce froid précurseur d’épouvante, ce même froid qu’autrefois il avait éprouvé lorsqu’on l’avait poussé dans son cachot…
Quand il se redressa, tout frémissant, tout pâle de ses pensées, il vit l’escadron qui disparaissait dans un grondement de feu et d’acier entrechoqués, entourant la litière de la dame inconnue.
– L’Hôtel Saint-Pol ! murmura-t-il. L’Hôtel Saint-Pol… la Tour Huidelonne… merci ! Je n’irai pas. Ce duc de Bourgogne, autant que j’en ai entendu parler, est un des plus puissants personnages du temps. Cette princesse qui habite l’Hôtel Saint-Pol ne peut être qu’une très haute dame de la cour, et puissante, elle aussi… Et elle est bien belle. D’où vient donc que leur aspect à tous deux m’a glacé et, comme la vue des reptiles a quelquefois fait faire un écart à mon cheval, me donne envie de reculer ?… Non, non, pas d’Hôtel Saint-Pol, plus de tour Huidelonne !
Tout à coup, et comme il prenait cette résolution, son cœur se mit à battre avec violence. Il baissa la tête. En lui, une image venait de se lever, si resplendissante de jeunesse et si gracieuse qu’il lui sembla que soudain le soleil venait de se lever.
Et c’était celle qui lui était apparue dans son cachot lorsque, désespéré de ne pouvoir même pas mourir, il avait senti la folie envahir son cerveau.
C’était Odette…
Le chevalier de Passavant redressa la tête, comme s’il eût défié d’invisibles ennemis.
– J’irai ! dit-il. Demain soir, à dix heures, je me présenterai à l’Hôtel Saint-Pol.
XIX – L’AUBERGE DE LA TRUIE PENDUE
Ce jour-là, vers midi, c’est-à-dire deux ou trois heures après le dîner, Thibaud Le Poingre, maître de l’auberge de la « Truie Pendue », passait en revue son auberge, son royaume, son armée, en vue de souper, et, de sa voix courte, éraillée, qui semblait rouler sur un petit rire en dedans comme un ruisseau sur des cailloux, donnait ses ordres :
– Allons, la Boulgreuse, qu’on me fasse reluire ces cuivres, ces brocs d’étain.
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