L'Hôtel Saint-Pol
lui-même, employant sans doute une expression plus relevée, mais que traduit fort bien la populaire locution.
Oui, « ça y était ! » Ce Passavant était un « bravo » avec lequel il s’agissait simplement de discuter le prix.
– La condition, dit rondement et loyalement le duc, la condition, je la connais, mon brave.
– Vous la connaissez, monseigneur ? s’écria Passavant qui, pâlit.
– Eh oui, fit gaiement Jean sans Peur en mettant la main sur le sac, je la connais ! Venons-en donc tout de suite au service que j’attends de vous.
Passavant essuya d’un revers de main quelques gouttes de sueur qui pointaient à ses tempes.
– Venons-y, monseigneur, dit-il machinalement.
Jean sans Peur, une minute, demeura silencieux. Ses traits se raidirent. Son visage perdit cette expression de bonne humeur, se contracta sous l’effort de la haine.
– Écoutez, dit-il sourdement, il y a à Paris un homme qui est mon ennemi mortel et qui me tuera si je ne le tue. Cette nuit même, cet homme passera rue Barbette, devant le cabaret des Templiers. L’endroit est désert. L’homme sera seul ou à peu près. Pour des raisons dont je suis seul juge, avec Dieu qui est pour moi et m’absout, je tue cet homme. Je le tue de loin, sans qu’il sache d’où vient le coup qui le frappe. Est-ce qu’on sait d’où vient la foudre ?… La foudre, ce sera vous, mon brave, et nul ne doit savoir quelle main vous a lancé…
Cette foudre dont parlait le duc fût-elle tombée à ce moment à trois pas du chevalier, il n’eût pas été plus atterré. La voix du portrait de la tenture, la voix angoissée de la dame inconnue vint frapper son imagination : Fuyez !…
Ce qu’il éprouva fut étrange : ce fut de la honte, ce fut de la colère, ce fut de la stupeur… Quoi ! Il avait risqué sa vie pour sauver la reine – et la reine lui proposait d’assassiner une femme !… Le duc de Bourgogne l’avait vu à l’œuvre, et le duc, comme la reine, presque dans les mêmes termes, lui proposait un assassinat !
« Oh ! mais je fais donc figure de spadassin, de coupe-jarret ! Mais ces gens n’ont donc vu en moi qu’un tueur lâche, s’embusquant la nuit pour frapper par derrière ? »
– Ne réfléchissez pas, dit Jean sans Peur en se levant, et sa voix se fit rude, rauque, rocailleuse. Ne cherchez pas à sonder mes motifs. Ne vous avisez pas de savoir pourquoi j’ai condamné cet homme. J’arme votre main. Vous serez royalement payé. Vous ferez partie de ma maison. Je me charge de votre fortune. Voilà ce que vous devez vous dire. Quant au reste, croyez-moi, ne vous inquiétez pas du destin d’un être maudit, et n’essayez pas de monter jusqu’à Dieu pour lui arracher son secret, car vous seriez brisé comme ce verre !
Jean sans Peur prit un verre sur la table, le jeta à toute volée sur le tapis et l’écrasa sous son talon. Le chevalier, instantanément, reprit tout son sang-froid.
– Le nom de l’homme ? demanda-t-il froidement.
Jean sans Peur sourit : Il tenait le bravo. Il se pencha :
– Je vous ai dit que vous seriez « royalement » payé. En effet, il s’agit presque d’un roi. Avez-vous entendu parler de Louis d’Orléans ?…
Le chevalier se raidit pour réprimer tout tressaillement. Il ordonna à ses nerfs de s’immobiliser, à son visage de demeurer impassible.
– Oui, dit-il. J’ai entendu quelquefois parler du frère de Sa Majesté.
– Le connaissez-vous de vue ?
– Oui, dit le chevalier avec son froid sourire.
Jean sans Peur ne remarqua pas que le bravo supprimait les « monseigneur » dont il l’avait jusque-là gratifié. Il eut un geste de satisfaction :
– Puisque vous le connaissez, il n’y aura pas d’erreur possible. Louis sera accompagné de porteurs de torches, dont vous n’aurez pas à vous inquiéter… je m’en charge.
Il jeta un coup d’œil sur le sac, et ajouta :
– Venons-en maintenant à la condition.
– Un mot, d’abord. Une question, voulez-vous ?
– Faites, dit Jean sans Peur en fronçant les sourcils.
– Une curiosité me tourmente. Je voudrais savoir… tenez, je vais vous dire : M me la reine m’a demandé de tuer deux personnes, un homme et une femme. Vous, maintenant, me demandez de tuer le frère du roi. Pourquoi ?… Oh ! entendez-moi, je ne veux pas savoir pourquoi la reine veut tuer, pourquoi vous voulez tuer ; cela ne me regarde pas. Mais, vraiment, j’ai cette
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