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L'Ile du jour d'avant

L'Ile du jour d'avant

Titel: L'Ile du jour d'avant Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Umberto Eco
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des ulcères et, comme la mamelle est près de la vessie, irrite aussi celle-ci, provoquant l’anastomose des veines qui y confluent, si bien que la vache pisse du sang.
    Roberto dit :
    — Le chevalier nous avait parlé de cet onguent armaire comme d’une chose utile à la médecine mais vous, vous nous faites comprendre qu’il pourrait être aussi utilisé pour faire du mal.
    — Bien sûr, et c’est pour cela que certains secrets doivent être cachés à la plupart afin que l’on n’en fasse pas mauvais usage. Eh, mon cher monsieur, la dispute sur l’onguent, ou sur la poudre, ou sur ce que nous Anglais nommons le Weapon Salve , est riche de controverses. Le chevalier nous a parlé d’une arme qui, opportunément traitée, provoque un soulagement à la blessure. Mais prenez la même arme et posez-la à côté du feu : le blessé, fût-il à des milles de distance, hurlerait de douleur. Et si vous plongez la lame encore tachée de sang dans l’eau glacée, le blessé sera pris de frissons.
    Apparemment cette conversation n’avait rien appris à Roberto qu’il ne sût déjà, y compris que le docteur Byrd en savait long sur la Poudre de Sympathie. Pourtant le discours du docteur avait trop roulé sur les effets les pires de la poudre, et ce ne pouvait être un hasard. Mais ce que tout cela avait à voir avec l’arc de méridien, c’était une autre histoire.

    Jusqu’à ce qu’un matin, profitant du fait qu’un matelot était tombé d’une vergue, se fracturant le crâne, que sur le pont il y avait tumulte et que le docteur avait été appelé pour soigner l’infortuné, Roberto s’était esquivé dans le fond de cale.
    Presque à tâtons, il avait réussi à trouver la bonne direction. Sans doute avait-ce été la chance, sans doute la bête se plaignait-elle davantage que de coutume ce matin-là : Roberto, plus ou moins là où sur la Daphne il finirait par découvrir les tonnelets d’eau-de-vie, fut devant un atroce spectacle.
    Bien défendu des regards curieux, dans un cagibi construit sur mesure, sur une couverture de chiffons, il y avait un chien.
    Peut-être était-il de race, mais la souffrance et les privations ne lui avaient laissé que la peau et les os. Et pourtant ses tortionnaires montraient l’intention de le garder en vie : ils l’avaient pourvu en abondance de nourriture et d’eau, et même de la nourriture non canine, certainement soustraite aux passagers.
    Il gisait sur un flanc, tête abandonnée, langue dehors. À son flanc s’ouvrait une large et horrible blessure. Fraîche et cancéreuse à la fois, la plaie exhibait deux grandes lèvres rosées et au milieu et le long de toute son entaille une âme purulente qui paraissait sécréter de la ricotta. Roberto comprit que la blessure se présentait dans cet état parce que la main d’un chirurgien avait, au lieu d’en coudre les lèvres, fait en sorte qu’elles restassent ouvertes et béantes, en les fixant à la peau.
    Fille bâtarde de l’art, cette blessure avait été non seulement infligée, mais soignée avec cruauté de façon qu’elle ne cicatrisât pas et que le chien continuât à souffrir, qui sait depuis quand. Non seulement, mais Roberto distingua aussi, autour et à l’intérieur de la plaie, les résidus d’une substance cristalline, comme si un médecin (un médecin si impitoyablement sagace !) chaque jour l’aspergeait d’un sel irritant.
    Impuissant, Roberto avait caressé le malheureux, qui à présent glapissait presque en silence. Il s’était demandé comment il pouvait lui faire du bien, mais en le touchant plus fort il avait ajouté à sa souffrance. Par ailleurs, un sentiment de victoire finissait par l’emporter sur la pitié. Nul doute : c’était là le secret du docteur Byrd, le chargement mystérieux embarqué à Londres.
    D’après ce que Roberto avait vu, un homme, qui savait ce que lui savait, pouvait en inférer que le chien avait été blessé en Angleterre et que Byrd prenait soin qu’il demeurât toujours la plaie béante. Quelqu’un à Londres, chaque jour à une heure fixe et convenue, faisait quelque chose à l’arme coupable, ou à un linge imbibé du sang de la bête, pour en provoquer la réaction, peut-être de soulagement, peut-être de peine encore plus grande, puisque le docteur avait bien dit qu’avec le Weapon Salve on pouvait aussi bien nuire.
    De cette façon, sur l’Amaryllis il était possible de savoir à un moment donné quelle heure il était

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